(Ottawa) Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a défendu mardi une récente loi qui permet d’imposer la prison à domicile à un agresseur sexuel. Un procureur de la Couronne a fustigé le gouvernement Trudeau, lundi, pour avoir rouvert la porte à de telles peines, abolies par les conservateurs en 2007.

« Nous sommes de tout cœur avec les victimes d’agression sexuelle. C’est quelque chose qu’on doit combattre comme société », a d’abord affirmé le ministre Lametti en mêlée de presse.

« Les ordonnances sur sursis sont disponibles uniquement quand la peine aura été de moins de deux ans et que la sécurité publique n’est pas menacée. C’est à un juge de le déterminer au moment de la peine », a-t-il ajouté, rappelant au passage que le procureur et l’avocat de la défense ont l’occasion de fournir leurs arguments devant le juge.

Il n’a pas voulu commenter le cas précis de Jonathan Gravel, qui a évité la prison ferme lundi au palais de justice de Montréal, puisqu’il pourrait être porté en appel. L’homme de 42 ans a commis une violente agression sexuelle en 2014 en pénétrant sans avertissement une femme dans l’anus malgré ses cris de refus et ses tentatives pour se défaire de son emprise. Il a été reconnu coupable en 2018.

Au terme d’un marathon judiciaire, le juge David Simon l’a condamné à 20 mois de prison à purger dans la collectivité (avec sursis) en raison de sa réhabilitation et de son faible risque de récidive. La Couronne réclamait 15 mois d’emprisonnement ferme.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jonathan Gravel, lors du prononcé de sa peine, lundi

Jonathan Gravel a en effet étiré le processus judiciaire pendant plus de huit ans, multipliant les requêtes et les changements d’avocat. S’il avait reçu sa peine quelques mois plus tôt, il n’aurait pas été admissible à la prison à domicile.

« Retour en arrière »

« En ce moment, Justin Trudeau et [le ministre de la Justice] David Lametti ont probablement des comptes à rendre aux victimes d’agression sexuelle », a pesté le procureur de la Couronne MAlexis Dinelle après l’audience, lundi. Il s’est dit inquiet de ce « retour en arrière » en matière de peine imposée aux agresseurs sexuels. Précisons que le gouvernement Harper avait mis fin au sursis en matière d’agression sexuelle en 2007.

Pour le conservateur Pierre Paul-Hus, c’est la preuve que cette législation n’aurait pas dû être adoptée. « Ce qui est grave, c’est que les victimes d’actes criminels graves vont encore une fois se retrouver perdantes et elles vont dire “il n’y a pas de justice” », a-t-il dénoncé en entrevue.

Jusqu’à l’adoption du projet de loi C-5 en novembre dernier, un juge ne pouvait imposer une peine de prison à domicile pour une agression sexuelle. Pour un tel crime, la prison ferme était la norme, et les peines variaient entre 12 et 20 mois pour des agressions similaires à celle-ci. Cette loi permet l’emprisonnement dans la collectivité en matière d’agression sexuelle.

Son objectif est de s’attaquer à « la surreprésentation des Canadiens autochtones, noirs ou marginalisés dans le système de justice pénale » en abolissant de nombreuses peines minimales du Code criminel, notamment en matière d’armes à feu.

« On était d’accord avec le principe et l’objectif de la loi, a rappelé le député néo-démocrate Alexandre Boulerice. Est-ce qu’elle va toujours être bien appliquée dans des cas précis et est-ce que les juges vont bien s’en servir ? Je ne peux pas garantir ça. »

Le projet de loi a été adopté grâce à l’appui du Nouveau Parti démocratique et du Bloc québécois, étant donné que les libéraux sont minoritaires.

« L’accusation est grave et la sanction se doit d’être proportionnelle aux gestes posés, a réagi le député bloquiste Rhéal Fortin, par écrit. Nous attendrons la suite et je suis persuadé que s’il y a lieu de le faire, le procureur du DPCP interjettera appel. »

Une loi aux « effets pervers »

« Ce n’est pas un message qui est positif pour les personnes victimes. Bien qu’elle soit appuyée légalement, cette décision demeure étonnante dans un dossier d’agression sexuelle, vu la gravité des gestes posés », a réagi Marie-Christine Villeneuve, porte-parole au Réseau des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).

À ses yeux, la loi C-5 montre son « effet pervers » dans ce jugement.

C’est malheureux que ces récents changements législatifs, qui ont été apportés pour des raisons légitimes, ouvrent la porte à cela.

La porte-parole au Réseau des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), Marie-Christine Villeneuve

La situation n’est pas si sombre cependant. Sur le terrain, les intervenants du CAVAC observent une « multitude de décisions qui sont positives pour les victimes », insiste Mme Villeneuve.

« Le fait qu’on se retrouve avec une décision comme celle-là, visant un homme blanc qui a commis une agression sexuelle, c’est une énième démonstration de pourquoi la justice pénale criminelle n’est pas le meilleur véhicule pour traiter des agressions sexuelles », soutient Mélanie Lemay, cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles, qui mise plutôt sur la justice réparatrice et les principes de la justice transformatrice.