Un procureur de la Couronne fustige le gouvernement Trudeau pour avoir ouvert la porte, dans une récente loi, à la prison à domicile pour les agresseurs sexuels. Un homme qui a pénétré une femme sans son consentement, et qui jette le blâme sur le mouvement #metoo, en a bénéficié lundi au terme d’un « marathon » judiciaire de huit ans.

« En ce moment, Justin Trudeau et [le ministre de la Justice] David Lametti ont probablement des comptes à rendre aux victimes d’agression sexuelle », a pesté après l’audience le procureur de la Couronne MAlexis Dinelle.

« Je ne peux rester coi face à cette situation », a lancé le procureur d’expérience, qui se dit inquiet de ce « retour en arrière » en matière de peine imposée aux agresseurs sexuels. Une telle sortie de la part d’un procureur est rarissime.

Malgré une violente agression sexuelle, Jonathan Gravel a évité la prison ferme lundi. Le juge David Simon l’a plutôt condamné à 20 mois de prison dans la collectivité (avec sursis) en raison de sa réhabilitation et de son faible risque de récidive.

L’homme de 42 ans, de l’ouest de Montréal, a pénétré sans avertissement une femme dans l’anus en 2014.

L’agresseur a continué malgré les cris de refus de la victime et les tentatives de celle-ci de se défaire de l’emprise en l’égratignant avec ses ongles. À ses yeux, la femme avait consenti à une pénétration anale, puisqu’elle venait de consentir à une relation vaginale. Il disait avoir « senti » qu’elle y consentait et pensait de toute façon en « être rendu là » dans leur relation sexuelle, puisque « la porte était ouverte ».

« Sex is sex », avait-il résumé à l’enquêteur. Le juge l’a reconnu coupable en 2018 au terme de son procès, en rappelant que le consentement doit être obtenu en tout temps lors d’une relation sexuelle. Il est depuis en appel.

« Les gestes sont graves. Le délinquant a voulu assouvir une pulsion sexuelle en ne se souciant aucunement de la victime ni de son refus non équivoque », a conclu le juge David Simon lundi.

L'impact du projet de loi C-5

Jusqu’en novembre dernier, un juge ne pouvait imposer une peine de prison à domicile pour une agression sexuelle. Pour un tel crime, la prison ferme était la norme, et les peines variaient entre 12 et 20 mois pour des agressions similaires à celle-ci.

Or, sans tambour ni trompette, le projet de loi C-5 du gouvernement Trudeau est venu permettre l’emprisonnement dans la collectivité en matière d’agression sexuelle. L’objectif de cette loi majeure était particulièrement de s’attaquer à « la surreprésentation des Canadiens autochtones, noirs ou marginalisés dans le système de justice pénale » en abolissant de nombreuses peines minimales du Code criminel, notamment en matière d’armes à feu.

Cette loi n’avait pas pour but de permettre « à Jonathan Gravel, un Blanc, de s’en tirer avec un sursis », insiste MDinelle, qui rappelle que le sursis n’était pas possible depuis 15 ans.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

MAlexis Dinelle, procureur de la Couronne

Quel est le message envoyé aux victimes d’agression sexuelle plus de cinq ans après le mouvement #metoo ? J’ai l’impression que maintenant, on recule en arrière, et on va repermettre des peines d’emprisonnement avec sursis pour des agresseurs sexuels qui ont fait leur procès. Il y aura des comptes à rendre quelque part.

Le procureur de la Couronne MAlexis Dinelle

D’ailleurs, dans l’une de ses nombreuses requêtes, Jonathan Gravel s’est plaint d’avoir été « condamné d’avance » en raison du contexte « social et culturel à l’heure du mouvement #metoo ». Il ajoutait que la victime avait été « crue d’avance ». Des allégations rejetées par le juge.

Jonathan Gravel a en effet étiré le processus judiciaire pendant plus de huit ans, multipliant les requêtes et les changements d’avocat. Le juge Simon a notamment refusé sa requête en arrêt des procédures en 2021 dans un jugement-fleuve de 159 pages. S’il avait reçu sa peine quelques mois plus tôt, il n’aurait pas été admissible à la prison à domicile.

Dans sa longue décision, lue pendant deux heures, le juge Simon dit avoir tenu compte de nombreux facteurs aggravants dans l’imposition de la peine, dont la pénétration « très intrusive et violente » et les conséquences sur la victime, vulnérable.

Le magistrat insiste toutefois sur la « démonstration probante de réhabilitation » de l’agresseur, un homme sans emploi qui réside chez ses parents. Le juge souligne la « détresse psychologique » de l’accusé, sa « stigmatisation sur l’internet » et son risque de récidive très bas pour pencher du côté de la peine avec sursis de 20 mois, suivie d’une probation de deux ans.

« Je suis conscient que vous pourriez considérer cette peine insatisfaisante », a lancé le juge à la victime, qui assistait à l’audience par visioconférence.

Le procureur MDinelle a d’ailleurs tenu à souligner la « très grande résilience » de la victime en mêlée de presse. « Ça fait plus de huit ans que ça dure pour elle », a-t-il rappelé. MDinelle soutient qu’il est « fort possible » que le ministère public fasse appel de ce jugement.

Caché par son capuchon, Jonathan Gravel n’a pas répondu à nos questions. Il est représenté par MAnne-Sophie Dagenais.