Un peintre paysagiste de Lévis a anéanti une jeune femme en la filmant avec des caméras-espionnes, dans sa chambre et dans la douche, ce qu’il a admis. La poursuite l’accuse d’avoir produit de la pornographie juvénile. Mais la défense nie que la victime était encore adolescente sur les vidéos.

Le malheur attendait Rose au fond d’un tiroir. Au milieu du fouillis, deux ans après avoir été oubliés là, deux mystérieux démarreurs à distance ont ressurgi.

Autant dire deux petites bombes.

Les démarreurs abritaient des caméras-espionnes et de nombreuses vidéos montraient la jeune fille complètement nue.

Mario Beaudoin, artiste peintre de Lévis, père de quatre garçons, a admis avoir réalisé les vidéos, mais n’a pas plaidé coupable.

D’après son compte Facebook, il a déménagé son atelier en Gaspésie, à Percé, pour l’été.

Rose – un pseudonyme, puisqu’une ordonnance du tribunal nous interdit de la nommer – lui vouait une confiance absolue, puisque c’était un proche de la famille.

Mais pendant un an ou deux, a témoigné la jeune femme, l’homme de 58 ans a profité de ses visites pour cacher ses caméras-espionnes. Près d’un pot de coquillages, sur le rebord du bain, dans le placard de sa chambre et sur un meuble, près du lit.

Notre relation était très proche. Si on ne s’appelait pas une fois par jour, on s’appelait trois fois. Je lui disais tout, je me confiais à lui.

Rose

La poursuite est convaincue que la jeune femme avait moins de 18 ans sur certaines vidéos et que Mario Beaudoin a donc produit de la pornographie juvénile, en plus de commettre le crime de voyeurisme.

La défense affirme le contraire.

Le juge Steve Magnan, de la Cour du Québec, entendra leurs arguments le 27 juillet prochain, avant de rendre son verdict.

« Quelque chose d’atroce »

Le frère de Rose (que nous rebaptiserons Guillaume) découvre initialement les faux démarreurs à distance dans la poche d’un manteau, il y a six ou sept ans. Mordu d’électronique, il comprend qu’ils dissimulent des caméras, mais ne possède pas encore le fil requis pour lire leurs cartes mémoire.

Sa mère appelle Mario Beaudoin pour lui raconter l’étrange découverte. « Il m’a dit : “Arrêtez de niaiser avec ça ! Câlissez-moi ça dans les poubelles ! Ça ne sert à rien” », a-t-elle témoigné début mai.

Pendant environ deux ans, les caméras-espionnes croupissent donc dans le tiroir d’un buffet, entre de vieilles clés et un Game Boy.

Guillaume les déterre en mai 2017 et file au sous-sol, convaincu qu’il saura désormais les lire.

Soudain, le garçon « crie au meurtre », a témoigné sa mère. « C’est la panique totale ! »

Guillaume « capotait », a-t-il confirmé au tribunal.

[Dans la première vidéo], on voit Mario qui place quelque chose dans un coin en dessous du linge. Et là, il recule et ma sœur descend et commence à se changer. Je suis sous le choc. Je vois ma sœur qui se déshabille de fond en comble…

Guillaume, le frère de Rose

Alertée, Rose le rejoint et le chasse, pour être seule. « Elle était complètement démolie », ajoute-t-il.

La mère des deux enfants l’était aussi. « Je pensais que j’allais perdre connaissance, a-t-elle rapporté au juge. […] Je me suis effondrée sur mon divan. »

« On pleurait toute la gang. Je me disais : “Mais qu’est-ce que je n’ai pas vu ?” On l’aimait tellement. Depuis quand il faisait ça chez nous… Pourquoi… »

« J’ai appelé la police. J’ai dit : “On veut de l’aide ; on a trouvé quelque chose d’atroce.” »

Mario Beaudoin a été arrêté près d’un an plus tard, en 2018.

« Il disait tout le temps : “Je finis toujours par tout savoir” », a témoigné la mère de Rose.

Des moments d’intimité « volés »

Les enquêteurs, les avocats et le juge ont dû regarder les vidéos montrant Rose dans des moments très intimes, parfois en sa présence.

C’est difficile de savoir qu’autant de gens ont eu accès à ma vie de jeune fille. J’ai eu l’impression de me faire voler des moments d’intimité.

Rose, lors son interrogatoire

Sur les enregistrements de la Cour, on l’entend refouler courageusement des sanglots, tandis que la poursuite lui montre, pendant de longues minutes, des photos tirées des vidéos.

Vers la fin, elle n’arrive plus à répondre, la gorge complètement étranglée. « Ça m’a fait beaucoup de mal, articule-t-elle après un long silence. Après ça, on a la phobie d’être filmé constamment. »

Adolescente ou non

À quel âge Mario Beaudoin aurait-il commencé à filmer Rose ?

Grâce à certains indices, la jeune femme a la certitude d’être encore adolescente sur la moitié des vidéos. Les avocats l’ont donc longuement interrogée au sujet de ses tatouages, faits à des années différentes. Du décor de sa chambre, qui a évolué au fil du temps. De sa couleur de cheveux et sa coiffure, qui ont changé quelques fois. De son iPhone, remplacé par un modèle plus récent au cégep et assorti d’un nouvel étui.

La première fois que Rose a tout raconté à la police, en mai 2017, elle s’est trompée de quelques mois quant à son âge, a-t-elle dit, pensant avoir 18 ans sur les quelques vidéos qu’elle avait eu la force de regarder.

Trois ans plus tard, avant de revoir les enquêteurs en vue du procès, elle a pris soin de fouiller dans ses photos pour s’assurer de ne pas « tout mélanger » ni « dire n’importe quoi », a-t-elle expliqué à l’avocate de la défense.

« En regardant mes photos de bal [de cinquième secondaire], je me suis souvenue des dates exactes et des moments précis. »

L’avocate a voulu savoir pourquoi Rose n’avait pas démontré dès le départ le même « souci d’exactitude » ou la même « rigueur ».

« J’étais tellement dévastée, a répondu la jeune femme. J’apprenais [en même temps] que mon grand-père allait mourir dans les prochains jours et que [Mario] que j’avais aimé toute ma vie m’avait trahie d’une manière atroce. »

Établir l’âge de Rose est crucial, puisque la production de pornographie juvénile entraîne une peine minimale d’un an de prison, contrairement au voyeurisme, parfois bien plus légèrement puni*.

Qui est Mario Beaudoin ?

Mario Beaudoin est connu dans son milieu pour avoir présidé des symposiums de peinture en région. Il s’évade dans différents villages de l’Amérique du Nord plusieurs mois par année, pour peindre des maisons colorées, souvent campées au bord du fleuve ou de la mer.

Sur son compte Facebook, il affiche une vidéo présentant son nouvel atelier de Percé.

Jadis, Rose l’adorait, a-t-elle dit au tribunal.

Mais sa confiance à l’égard des hommes, a-t-elle précisé, est maintenant anéantie.

Nos reportages précédents sur le fléau du voyeurisme :

Lisez « Le fléau des caméras-espionnes » Lisez « Les voyeurs de chez nous » Lisez « Caméra-espionne dans sa salle de bain : “Comme les films de terreur » »