On attendait une catastrophe sur les autoroutes et les ponts entre la Rive-Sud et Montréal, mais c’est finalement dans les rues locales que la fermeture d’un des deux tubes du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine s’est lourdement fait sentir. Dans la dernière année, le nombre d’automobilistes et d’accidents a augmenté dans plusieurs quartiers résidentiels autour du pont Jacques-Cartier, au grand dam des résidants, qui demandent que Québec et Montréal en fassent plus pour leur sécurité.

Mélina Dorléans a beau vivre à des kilomètres du chantier, elle est néanmoins bien placée pour en ressentir les impacts dans les rues de son quartier. Elle habite en effet près du pont Jacques-Cartier, vers lequel de nombreux automobilistes se sont rabattus depuis qu’un des deux tubes a été fermé à la circulation.

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Mélina Dorléans, résidante du quartier Centre-Sud

« Ça s’est empiré avec les travaux du tunnel et, simultanément, avec le retour au travail des gens en présentiel. Il y a vraiment une surutilisation de l’auto individuelle dans notre quartier, avec plus de stress au volant, plus de rage. C’est tout simplement trop », déplore la résidante du Centre-Sud.

Plusieurs observateurs attendaient que les bouchons de circulation sur les autoroutes 20 et 25 allongent avec la réfection du tunnel, mais c’est plutôt dans les quartiers autour que l’impact s’est fait le plus sentir.

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Voitures au ralenti avenue De Lorimier en avril dernier

« Il y a beaucoup trop de voitures dans les rues locales et les quartiers, et c’est encore plus vrai depuis un an. Il faut vraiment contrôler les accès à la ville et, en même temps, la taille des véhicules », raisonne Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal.

Hausse de la circulation de transit

Plusieurs citoyens comme Mélina Dorléans observent depuis l’an dernier une hausse de la circulation de transit, à la sortie du pont Jacques-Cartier. Pour la Montréalaise, c’est surtout le manque d’options en matière de transport collectif qui a permis à la situation d’empirer. « Pour venir de la Rive-Sud jusqu’au Centre-Sud, la plupart des gens préfèrent encore venir en voiture. On se retrouve avec beaucoup trop de véhicules. Il n’y a plus de place sur la route pour en ajouter, en fait », explique-t-elle.

Chris McCray, un résidant qui a cofondé avec des voisins le Collectif apaisement pour Sainte-Marie, est aussi de cet avis. « Dès le lancement du chantier du pont-tunnel, c’était clair que le ministère des Transports ne prenait pas en compte les impacts locaux autour du pont Jacques-Cartier. On a vu rapidement que c’était très chaotique et ce l’est encore à bien des égards, malgré les mesures de la Ville », dit-il.

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Chris McCray, résidant du quartier Centre-Sud qui a cofondé le Collectif apaisement pour Sainte-Marie

Pratiquement toutes les rues sont encore utilisées comme raccourcis. Et sur les grandes artères, comme Sherbrooke, Papineau ou De Lorimier, on se heurte à des aménagements d’autoroutes. Il y a encore beaucoup de travail à faire.

Chris McCray, résidant du quartier Centre-Sud qui a cofondé le Collectif apaisement pour Sainte-Marie

Aussi impliqué pour la sécurisation des artères, Carl St-Denis seconde. « Beaucoup de résidants sont fâchés des morts de piétons qui s’accumulent aux abords du pont Jacques-Cartier sans que ces autoroutes urbaines ne voient pas ne serait-ce que des aménagements transitoires être mis en place là où les dangers sont pourtant bien documentés », dénonce-t-il.

Accidents : une tendance en hausse

Dans la période de près de six mois ayant suivi le début du chantier au tunnel La Fontaine, le nombre d’accidents a augmenté de 8 % dans le quartier Centre-Sud, où se trouve la tête du pont Jacques-Cartier. Dans l’ensemble de l’île de Montréal, le nombre d’accidents a pourtant légèrement décliné (- 1 %).

En fait, depuis octobre 2022, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dit avoir recensé trois collisions mortelles dans le secteur et six autres avec blessés graves. C’est davantage que l’année précédente, où le corps policier n’avait compté que deux collisions mortelles et quatre avec blessés graves.

En décembre 2022, le quartier Centre-Sud avait été particulièrement ébranlé à la suite de la mort de la jeune Mariia Legenkivska sur le chemin de l’école. Une vaste mobilisation citoyenne s’en était suivie.

Un problème, des mesures

Pour tenter d’endiguer le flot de voitures, l’arrondissement de Ville-Marie a déjà annoncé quelques mesures d’apaisement de la circulation depuis avril. En plus d’une centaine de dos d’âne permanents installés, certaines artères comme la rue Larivière ont été fermées à la circulation. Des rues ont aussi fait l’objet de « réaménagements », avec l’ajout de saillies de trottoir, alors que d’autres ont vu leur sens inversé.

Les heures de certaines voies réservées ont par ailleurs été revues. Des tronçons ont aussi été étendus, comme rue Sherbrooke, alors que d’autres sont en réalisation, dont dans l’avenue De Lorimier.

« Nous avons misé sur l’axe René-Lévesque pour optimiser la capacité est-ouest et répartir la circulation vers la Rive-Sud sur les ponts Victoria, Samuel-De Champlain et Mercier, surtout en prévision de fermetures éventuelles ou catastrophiques de l’autoroute Ville-Marie », illustre l’attachée de presse au cabinet de la mairesse de Montréal Catherine Cadotte.

Elle précise que certains feux de circulation, surtout dans des secteurs névralgiques, « ont été optimisés et continuent de l’être en vertu des modifications sur le terrain au besoin ». Les liens nord-sud Papineau et De Lorimier ont enfin été revus pour « maximiser la circulation de et vers le pont Jacques-Cartier ».

Dès le début du mégachantier, Montréal avait aussi au réclamé gouvernement de mettre en place des « mesures de rabattement spécifiques » près des pôles d’emploi, comme les hôpitaux. Le ministère des Transports n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce sujet, en indiquant simplement qu’un bilan des activités autour du tunnel La Fontaine sera fait d’ici la fin octobre.

Manque de planification

Catherine Morency s’explique elle aussi mal que, comme dans la plupart des grands chantiers routiers, les travaux majeurs dans le tunnel La Fontaine n’aient pas été planifiés de façon à prévoir les impacts sur les quartiers adjacents.

On dirait que quand on discute de grandes infrastructures, le gouvernement a l’impression qu’on peut isoler les grands corridors, mais non, ils viennent toujours s’injecter sur le réseau local. Ça, on ne le prend jamais réellement en compte.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal

La situation est telle qu’un groupe de résidants vient de lancer une pétition pour réinstaurer un système de péage sur le pont Jacques-Cartier, qui avait été abandonné dans les années 1960. L’achalandage autour de l’infrastructure « est devenu chaotique », s’inquiètent les citoyens.

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Circulation boulevard de Maisonneuve, dans le secteur du pont Jacques-Cartier, en avril dernier

Aucune discussion n’a toutefois eu lieu à ce sujet avec Ottawa, confirme la porte-parole des Ponts Jacques Cartier et Champlain, Nathalie Lessard. À ce jour, le pont accueille mensuellement entre 2,6 et 2,7 millions d’automobilistes, un chiffre qui demeure malgré tout stable de mois en mois.

« La crainte que nous avions à l’époque sur l’augmentation de la congestion ne s’est pas nécessairement matérialisée, en tout cas pas totalement. Il y a certainement des moments où le pont est très occupé, surtout quand il y a des entraves importantes dans le tunnel ou ailleurs, mais ce n’est rien d’anormal pour nous », affirme de son côté Mme Lessard.