En pleine saison estivale à Montréal, les guides touristiques illégaux continuent de parcourir la ville sans être importunés et sans recevoir de constats d’infraction. Des commerces, eux, ont décidé d’agir et d’interdire l’accès à ces guides clandestins qui n’ont ni formation ni permis.

« Avis pour les guides touristiques », indique une affiche bien en évidence dans la porte de la boulangerie Guillaume. « Nous vous demandons de bien vouloir présenter votre permis émis par les autorités officielles avant de procéder à un tour à l’intérieur de notre établissement. »

Guillaume Vaillant, copropriétaire de la boulangerie populaire, en avait assez d’entendre des bobards racontés par des guides sans permis. Comme la Ville de Montréal n’applique pas son règlement municipal, il a décidé de le faire lui-même.

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Dans la porte de la boulangerie Guillaume, dans le Mile End, une affiche demandent aux guides touristiques de présenter leur permis avant de donner un tour de l’établissement.

« Je suis un amoureux de Montréal. Je ne peux pas permettre qu’on dise des faussetés sur son histoire, sur sa vie culturelle », déclare-t-il dans un vibrant plaidoyer.

Des faussetés ? Au fil des ans, le commerçant a entendu des guides sans permis se fourvoyer sur l’année de création de sa boulangerie, dans le Mile End. D’autres ont jeté de la poudre aux yeux à leurs clients en parlant de la conception des pâtisseries.

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Le copropriétaire de la boulangerie Guillaume, Guillaume Vaillant

J’ai même entendu que j’étais d’origine alsacienne et que c’était pour ça que je préparais une galette alsacienne. Mais ça n’a aucun rapport. Je suis québécois, de parents canadiens-français. Ils inventent un roman poétique à mon égard alors que c’est complètement faux.

Guillaume Vaillant, copropriétaire de la boulangerie Guillaume

Formation et permis obligatoire

À Montréal, les guides touristiques sont obligés de suivre une formation de 240 heures à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) et d’être titulaire d’un permis de la Ville, en vertu du règlement G-2. En Amérique du Nord, seules les villes de New York et de Québec exigent aussi que les guides touristiques soient titulaires d’un permis.

Les guides qui ne respectent pas le règlement municipal sont passibles d’une amende de 100 $ à 300 $ pour une première infraction et de jusqu’à 1000 $ en cas de récidive.

Des entreprises touristiques en règle ont dénoncé cette concurrence déloyale dans un reportage publié dans La Presse, en avril dernier. « Je suis découragé. Ils ne facturent pas la TPS et la TVQ. C’est carrément déloyal », a répété Frédérik Nissen, fondateur de Local Food Tours, lors d’une entrevue récente.

Lisez l’article « Tourisme à Montréal : suivez le guide… illégal »

Les guides illégaux affichent souvent leurs services sur des sites internet établis à l’étranger et en anglais uniquement. Il n’a pas été possible de confirmer s’ils paient leurs impôts au Québec et au Canada.

« Il faut régler le problème maintenant, cet été ! Il ne faut pas attendre encore une autre année », insiste celui qui se dit déçu que la Ville ne soit pas plus proactive dans ce dossier.

« Par souci d’équité »

La microbrasserie Siboire a aussi cessé de servir des poutines et d’offrir des dégustations de bière aux guides touristiques illégaux et, par la bande, à leurs groupes. Les propriétaires ont averti les guides de la nouvelle politique de l’établissement il y a deux mois, puis ont définitivement cessé de les accueillir au début de juillet.

« On le fait par souci d’équité et par souci moral », explique Antoine Ducharme, copropriétaire de l’établissement du boulevard Saint-Laurent.

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Le copropriétaire de la microbrasserie Siboire, Antoine Ducharme

Ça nous amenait des clients, c’est sûr, mais on préfère être solidaires avec les petites entreprises qui font les choses de la bonne façon, qui vont chercher leur permis et qui paient leurs taxes.

Antoine Ducharme, copropriétaire de la microbrasserie Siboire

Les arrondissements du Plateau-Mont-Royal, qui englobe le Mile End, et de Ville-Marie, où se situent le Vieux-Montréal et le centre-ville, confirment qu’ils n’ont remis aucun constat d’infraction à des guides illégaux depuis le début de l’année.

La Ville de Montréal affirme qu’elle n’a reçu aucune plainte de touristes insatisfaits concernant des visites guidées et soutient qu’elle se penche sur l’application de son règlement.

« La Ville a entamé une réflexion entourant ce règlement et elle fera connaître la solution préconisée une fois ses démarches [terminées]. Des discussions avec les partenaires ont eu lieu avec l’élu dans ce dossier concernant des actions à mettre en place dans les meilleurs délais et pour le long terme », a indiqué Kim Nantais, relationniste de la Ville de Montréal.

« Une machine lente à faire bouger »

Frédéric Mandel, président de l’Association professionnelle des guides touristiques de Montréal (AGPT), se désole que la Ville tarde à faire appliquer son propre règlement. « C’est une machine lente à faire bouger. Oui, on aurait aimé que ça se fasse plus vite. Il y a un règlement. Ce serait assez simple de l’appliquer en donnant un mandat à des agents de la paix », souligne-t-il.

L’AGPT s’apprête d’ailleurs à faire parvenir une lettre à différents intervenants de l’industrie touristique pour leur rappeler l’existence du règlement G-2. La missive sera cosignée par la Ville de Montréal, Tourisme Montréal et l’ITHQ. Des entreprises spécialisées dans les visites guidées et des concierges d’hôtel seront visés par la campagne de sensibilisation. Les commerces chouchous des touristes, aussi.

Or, des commerçants, qui voudraient bannir les guides illégaux, affirment que ce n’est pas si simple en réalité. C’est le cas du marchand de glaces Kem Coba, sur l’avenue Fairmount.

« Les guides illégaux, ils ne se présentent pas. Ils achètent et repartent. Si une personne prend 12 minicornets, c’est difficile de savoir si c’est une famille, un groupe d’amis ou des collègues », explique Vincent Beck, copropriétaire de l’endroit.

Ce serait beaucoup plus simple si la Ville faisait elle-même appliquer son règlement, soutient M. Beck, et si elle faisait simplement preuve de logique.

En savoir plus
  • 2500 $
    Coût de la formation de 240 heures pour devenir guide touristique à Montréal. Le cours est donné à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.
    Source : Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec
    105 $
    Coût du permis de guide touristique. Celui-ci est valable un an, du 1er janvier au 31 décembre.
    Source : Ville de Montréal