Ils sont guides touristiques. Mais pas vraiment. Ils connaissent Montréal. Mais pas vraiment. La Presse lève le voile sur ces accompagnateurs illégaux qui s’affichent sur une multitude de plateformes. Non seulement colportent-ils des faussetés, mais cette pratique clandestine se fait aussi au détriment des guides professionnels accrédités par la Ville qui ont investi temps et argent dans leur formation.

« C’est de la concurrence déloyale »

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Un guide touristique accrédité auprès de l’APGT est avec un groupe de touristes.

Des guides touristiques illégaux sillonnent sans se cacher les rues de la métropole, du Vieux-Montréal au Mile End en passant par le Plateau. Mais la Ville ne fait rien contre ces travailleurs qui ne respectent pas la réglementation municipale et qui opèrent sans permis ni formation.

« C’est de la concurrence déloyale », déplore Frédérik Nissen, propriétaire de Local Food Tours, une entreprise qui propose des visites gourmandes à Montréal et à Québec.

Les 20 guides de l’entreprise (ils étaient 60 avant la pandémie) ont suivi la formation obligatoire de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) pour devenir guide touristique à Montréal. Ils détiennent tous un permis de la Ville.

Chaque jour, ils croisent pourtant des guides clandestins dans les rues de Montréal. Ces hôtes illégaux affichent leurs services sur des sites comme Airbnb Experience, Viator de TripAdvisor ou Secret Food Tours. Ils proposent de déguster la cuisine locale dans le Mile End, de se balader en trottinette électrique dans Griffintown ou de découvrir les secrets les mieux gardés de la ville comme les bagels (un secret, vraiment ?).

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Frédérik Nissen, propriétaire de Local Food Tours

M. Nissen dénonce ces plateformes internationales qui ne facturent pas la TPS et la TVQ à leurs clients et qui affichent des sites internet souvent uniquement en anglais.

« Les visites de Secret Food Tours sont centrées sur la bouffe, mais les groupes se promènent quand même sur des artères super importantes comme Saint-Viateur et Fairmount qui mériteraient d’être bien présentées », affirme l’entrepreneur.

« Il y a tout un patrimoine à faire valoir, toute la pierre grise du Mile End, les artistes du quartier, l’embourgeoisement… Le quartier vit une transition et on devrait informer les visiteurs », estime-t-il.

À Montréal, l’industrie des guides touristiques est encadrée par le règlement municipal G-2. M. Nissen soutient qu’il n’a jamais vu un inspecteur ou un agent de la paix faire appliquer ce règlement. « Si Montréal veut abolir son règlement, que ce soit clair pour tout le monde et on va réaligner nos flûtes, dit-il. Mais nous, on est d’avis qu’il devrait être maintenu pour offrir la meilleure expérience de Montréal qui soit. »

Aucun constat d’infraction

« N’importe qui peut s’afficher sur les réseaux sociaux ou sur les plateformes qui se multiplient », déplore aussi Bruno Lajeunesse, enseignant en technique de guidage à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ).

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Bruno Lajeunesse, enseignant en technique de guidage à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec

Lorsque la place d’Armes grouille de touristes l’été, ce guide de 35 années d’expérience ne peut s’empêcher d’écouter ce que les guides – avec ou sans permis – disent de la basilique Notre-Dame, de la rue des banques (la rue Saint-Jacques) ou de la statue de Maisonneuve, fondateur de Montréal. « Des fois, on est 10 ou 12 guides en même temps. J’ai des grandes oreilles et j’écoute ce que les gens racontent », explique-t-il.

Des faussetés lui ont fait dresser les cheveux sur la tête. Et en 26 ans comme guide à Montréal, lui non plus n’a jamais vu d’agent de la paix sévir contre les guides qui n’affichent pas leur permis en évidence dans leur cou.

La Ville de Montréal affirme qu’elle n’a émis aucun constat d’infraction « récemment, en application de ce règlement ». Elle nous a toutefois référé aux arrondissements pour savoir si des agents de la paix ou des inspecteurs avaient distribué des amendes à ces endroits.

L’arrondissement de Ville-Marie, qui englobe le centre-ville et le Vieux-Montréal, confirme qu’il n’a donné aucun constat d’infraction en vertu du règlement municipal G-2 « dans les dernières années ». Le Plateau-Mont-Royal n’a pas retourné nos nombreux appels.

Selon le règlement, les contrevenants s’exposent à une amende de 100 $ à 300 $ pour une première infraction et jusqu’à 1000 $ en cas de récidive. En Amérique du Nord, seules les villes de New York et de Québec exigent aussi que les guides touristiques détiennent un permis.

À Montréal, la formation de 240 heures coûte 2500 $ tandis que le prix du permis est de 105 $.

« Préoccupant »

L’organisme Tourisme Montréal, qui a pour mission d’attirer les touristes dans la ville, est préoccupé par la multiplication des guides non certifiés. « L’accueil et l’hospitalité, ce sont les facteurs no 1 du retour des visiteurs à la destination. Si un guide est moins professionnel ou qu’il offre une expérience moins agréable, ça risque de jouer sur le bouche-à-oreille », explique Aurélie de Blois, porte-parole de Tourisme Montréal.

« Il y a un règlement en vigueur et il est fait pour être respecté », ajoute-t-elle.

Michel Ménard, vice-président de l’Association professionnelle des guides touristiques de Montréal (APTG), vante la formation de l’ITHQ qui intègre l’histoire de Montréal, mais aussi l’urbanisme, l’architecture, l’art public, la politique, l’immobilier, le sport…

Même si un guide illégal est compétent, dit M. Ménard, les règles existent pour tous. Elles garantissent des informations véridiques et une bonne expérience aux touristes. À la veille de la saison estivale, l’APGT espère conscientiser la Ville à son propre règlement.

Si quelqu’un s’ouvre un restaurant dans son appartement sans permis, même si sa bouffe est bien bonne, c’est illégal. Dans le cas d’un restaurant, ça ne prendrait pas de temps avant qu’on le ferme et qu’on lui remette une amende.

Michel Ménard, vice-président de l’Association professionnelle des guides touristiques de Montréal

Élyse Lévesque, guide touristique et enseignante à l’ITHQ, affirme que Montréal n’est pas une destination simple à expliquer aux touristes avec les thèmes comme l’indépendance, les Autochtones, le système de santé et les quartiers immigrants. « On se fait souvent parler de Montréal comme étant une ville bilingue. Ce serait beaucoup plus facile de répondre que oui, mais la réalité est plus complexe. Si on ne donnait pas d’explications aux touristes, ils repartiraient avec cette idée alors que la langue officielle de Montréal est le français », explique Mme Lévesque, qui est guide à Montréal depuis 2016.

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Élyse Lévesque, guide touristique et enseignante à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec

L’enseignante souligne que la formation de l’ITHQ apprend aussi aux futurs guides à bien se déplacer en ville. Par exemple, un groupe ne devrait jamais bloquer la circulation sur un trottoir, cite-t-elle en exemple.

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Élyse Lévesque est membre de l’Association professionnelle des guides touristiques (APGT)

« L’été dernier, j’ai amené un groupe de quatre touristes à vélo dans une ruelle du Mile End. Juste avant nous, il y avait un groupe de 12 sur des scooters électriques. Ils sont entrés dans la ruelle où de jeunes enfants jouaient. La plupart de ces clients n’avaient sûrement jamais fait de scooter de leur vie une heure plus tôt », raconte Élyse Lévesque.

« Ce genre d’évènement crée aussi des tensions avec les résidants », déplore-t-elle.

Des faussetés et des silences

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L’hôtel de ville de Montréal

C’est quoi, cet édifice en forme de château ? Et ces arbres roses ? Pourquoi le parlement de Montréal a-t-il pris feu ? Notre guide non certifié, choisi sur un site qui offre des visites guidées dans 59 villes du monde, a eu bien de la difficulté à répondre à des questions plutôt simples sur Montréal. Il a aussi parsemé son discours de quelques faussetés, comme l’a constaté Élyse Lévesque, guide et enseignante à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, qui a participé à la visite avec La Presse.

La réservation

« Des leçons d’histoire aux meilleurs plats locaux ; introduction au Montréal multiculturel. » La description (en anglais) de cette visite de trois heures qui permet de voir le Vieux-Montréal, le marché Jean-Talon, le « hip » Mile End et de déguster une bière artisanale nous a tout de suite plu. Nous avons arrêté notre choix sur Naomi, guide française arrivée à Montréal il y a deux ans. Coût de la visite : 282,30 $, sans le pourboire.

Or, deux jours avant la visite, l’entreprise nous a appris que Gabriel serait plutôt notre guide. L’homme d’origine brésilienne, au Québec depuis six ans, nous a écrit qu’il serait impossible de tout visiter en trois heures. Déçues, nous avons choisi de parcourir le Vieux-Montréal et de nous engouffrer dans le métro jusqu’au marché Jean-Talon.

Le départ

Gabriel est arrivé au point de rencontre, l’entrée du Complexe Desjardins, huit minutes après l’heure convenue. « Dans le métier, on dit qu’un guide 15 minutes en avance est un guide en retard ! », souligne Élyse Lévesque. « Les touristes, dans une ville étrangère, ont déjà un stress à gérer. S’ils ne voient pas leur guide, ils vont se mettre à penser qu’ils ne sont pas au bon endroit », ajoute-t-elle.

« Je ne sais pas »

Du Complexe Desjardins, Gabriel nous fait passer par la ville souterraine pour nous mener vers le Quartier chinois. Le couloir débouche sur un édifice blanc et rouge de la rue De La Gauchetière. Élyse Lévesque tend une perche au guide : « C’est quoi, cette bâtisse ? » Gabriel ne le sait pas.

Il s’agit des locaux de Wing, la plus vieille entreprise du Quartier chinois. Elle a été fondée en 1893 et elle se spécialise dans la confection de nouilles et de biscuits de fortune, nous explique Élyse Lévesque après le tour. « Ce sont les premiers à faire des biscuits de fortune bilingues ! Ils sont dans cette bâtisse depuis les années 1960. Avant, c’était l’ancienne British and Canadian School. »

Gabriel n’a pas été en mesure d’identifier un édifice en forme de château (l’ancienne gare Viger) et celui aux apparences de l’Empire State Building (l’édifice Aldred). Il a dit ne pas savoir pourquoi il y avait des arbres roses dans le Palais des congrès et une chaise métallique dans les souterrains de la ville. Ce sont en fait des œuvres signées par les artistes Claude Cormier et Michel Goulet.

Silence radio

Au grand désarroi d’Élyse Lévesque, notre guide n’a pas parlé du monument de Maisonneuve au centre de la place d’Armes ni de celui de Jean Drapeau en face de l’hôtel de ville. « Jean Drapeau a été maire pendant 29 ans. Il est à l’origine d’Expo 67, du métro, des Jeux olympiques, de la Place des Arts. Moi, d’habitude, je parle de cette sculpture », se désole l’enseignante et guide.

Pendant qu’on traverse les huit stations de métro qui séparent le Vieux-Montréal de la rue Jean-Talon, Gabriel ne parle pas de la construction du système de transport souterrain et du réseau. Il aborde plutôt le sujet de ChatGPT et de la rédaction de sa thèse de doctorat.

Des faussetés

Au Centre de commerce mondial, notre guide nous présente la statue de Vénus. Il s’agit en fait de la déesse Amphitrite. À la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, il parle d’une statue ayant survécu à l’incendie de 1754. L’histoire est réelle, mais il pointe une grande statue dorée de la Vierge et l’Enfant à l’extérieur de la chapelle alors que la miraculée est beaucoup plus petite et se trouve à l’intérieur.

Il affirme que le pavillon de la Russie, à Expo 67, se trouvait dans le Vieux-Montréal et que la basilique Notre-Dame a été construite par les Anglais. « Il y aurait eu tellement de choses à dire sur la basilique. Je capotais ! Il a dit qu’elle avait été construite par les Anglais, mais en réalité, l’architecte est James O’Donnell et il est irlandais. Et on s’entend, il n’y a pas plus église catholique française que la basilique Notre-Dame ! », se désole Élyse Lévesque, au terme de la visite.

Conclusion ?

« Je ne comprends pas qu’il choisisse de se mettre dans cette position où il doit parler d’histoire alors qu’il ne connaît pas l’histoire. Il a inventé des choses », dit Élyse Lévesque, stupéfaite.

Gabriel, jeune homme gentil et poli, connaissait les grandes lignes sur plusieurs quartiers, histoires ou rues de Montréal. Mais dès que nous lui posions une question, il était incapable d’approfondir un sujet.

« Mais c’est quoi, le stéréotype qui colle à la peau des guides ? se demande Élyse Lévesque. C’est une tendance partout en tourisme. Les gens veulent vivre comme les habitants de l’endroit, expérimenter la ville comme eux. Mais c’est comme si nous, les guides, on n’était pas locaux ! »

« Beaucoup de gens pensent que les guides ont un script. Mais en réalité, le guide formé peut s’adapter aux sujets qui intéressent sa clientèle alors que celui qui n’est pas formé, il ne peut pas sortir de son script », lance Élyse Lévesque, à la fin des trois heures.

En savoir plus
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    Nombre de guides touristiques certifiés à Montréal, en 2022
    Source : Ville de Montréal
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    Nombre de villes où les guides touristiques doivent détenir un permis en Amérique du Nord. Il s’agit de Montréal, Québec et New York.
    Source : Association professionnelle des guides touristiques de Montréal