Montréal met 32 millions supplémentaires sur la table dans l’espoir que reprennent les chantiers de ses futurs centres de traitement du compost, paralysés depuis huit mois.

L’administration de la mairesse Valérie Plante veut mettre un point final à cette saga, qui l’oblige à exporter le contenu des bacs bruns des Montréalais, notamment en Ontario. L’opposition officielle déplore que la Ville accepte de céder devant une entreprise qui choisit de paralyser ses chantiers.

Le comité exécutif a voté vendredi l’augmentation des budgets des deux projets, qui s’élevaient déjà à un total de 340 millions. « La prochaine étape sera de convenir d’une entente avec Veolia », indique la Ville dans les documents remis aux élus. À défaut de quoi « un litige est à appréhender ». Le dossier sera étudié par le conseil municipal la semaine prochaine.

L’entrepreneur EBC avait déserté les chantiers des futurs centres de traitement de Saint-Laurent et de Montréal-Est en juillet 2022, en raison d’un conflit commercial avec le titulaire du contrat municipal, l’entreprise Veolia.

À son tour, « Veolia se faisait insistante auprès de la Ville pour réclamer des coûts additionnels sans que Veolia justifie suffisamment le bien-fondé de ces coûts ni ne fournisse les pièces justificatives », indique la Ville dans sa documentation. L’entreprise évoquait notamment les conséquences de la guerre en Ukraine ou de l’inflation pour tenter de faire gonfler la facture. La Ville lui répliquait que les contrats étaient forfaitaires et que la Ville n’avait pas à assumer ces risques.

« On n’acceptera pas d’être pris en otage par un litige commercial entre l’entreprise à qui on a donné un contrat et ses sous-traitants », avait alors déclaré Marie-Andrée Mauger, l’élue responsable de l’environnement au sein de l’administration Plante.

L’administration « fière », l’opposition inquiète

Vendredi, en votant une augmentation de 32 millions des budgets d’imprévus pour les deux projets, la Ville de Montréal a ouvert la porte à des paiements supplémentaires à Veolia. Ceux-ci devront toutefois être liés à des demandes valides.

Les « directives de changement qui améliorent le bâtiment, au-delà des exigences du contrat », les « travaux liés à la gestion pluviale » et les « directives de changement qui améliorent les équipements de procédé » pourraient notamment faire l’objet de chèques supplémentaires, indique le document municipal.

Si les chantiers reprennent, Veolia a indiqué qu’elle prévoyait pouvoir livrer le centre de Saint-Laurent au printemps 2024 et le centre de Montréal-Est début 2025.

« On entre dans le dernier droit vers la finalisation de l’entente, a indiqué le cabinet de Valérie Plante dans une déclaration écrite. On a pris les moyens de régler la situation et on est fiers de l’avoir fait. C’était la chose responsable à faire pour finaliser la construction. »

Veolia « a été en mesure de démontrer à la Ville des justifications solides sur l’augmentation des coûts qu’elle doit assumer pour livrer un projet à la hauteur des standards de qualité de l’industrie. L’autorisation de ces montants va nous permettre de compléter la négociation pour assurer une reprise rapide des travaux », continue la déclaration, qui mentionne une prise de contact directe entre Valérie Plante et Veolia.

L’opposition officielle à l’hôtel de ville n’est pas aussi optimiste.

« La Ville a été prise en otage et on en voit maintenant les effets », a déploré le maire de l’arrondissement de Saint-Laurent, Alan DeSousa.

C’est clair, net et précis que dans ce bras de fer entre la Ville et Veolia, le gagnant est Veolia. Les contribuables de Montréal sont les grands perdants.

Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent

Selon M. DeSousa, cette situation crée un « précédent très dangereux » dont pourraient s’inspirer d’autres fournisseurs de la Ville : paralysez vos chantiers et vous pourriez obtenir des paiements supplémentaires. « Ça ouvre la porte à d’autres entreprises qui voudraient faire la même chose », a-t-il dit.

« Nous sommes satisfaits de l’augmentation des budgets de contingence par la Ville, a indiqué par courriel Carrie K. Griffiths, responsable des communications de Veolia. Les discussions continuent […] afin de trouver une solution acceptable pour toutes les parties. »

EBC n’a pas voulu faire de commentaires.

110 000 tonnes de résidus à traiter

Les deux projets de centre de traitement des matières organiques font couler de l’encre depuis des années.

L’installation de Saint-Laurent, située sur le boulevard Henri-Bourassa Ouest, devait coûter 175 millions à la métropole, somme qui inclut son exploitation pendant les cinq premières années. Le chantier est actuellement achevé à 90 %. L’usine devrait pouvoir traiter 50 000 tonnes de résidus de table par année pour en faire du compost utilisable en agriculture.

L’installation de Montréal-Est, un centre de biométhanisation, sera située sur le site de l’ancienne carrière Demix, à l’intersection de l’avenue Broadway Nord et de l’autoroute 40. Sa construction et son exploitation pendant les cinq premières années devaient coûter 167 millions à Montréal. L’installation avalera 60 000 tonnes de compost par année, selon la Ville.

Les deux projets ont souffert de retards et de dépassements de coûts importants.

Les contrats pour leur construction et leur exploitation avaient été accordés en 2019 à Suez, une entreprise française dont la filiale nord-américaine a été rachetée l’an dernier par sa compatriote Veolia. C’est ce qui explique que la Ville de Montréal doive maintenant traiter avec Veolia.

En 2021, la vérificatrice générale de Montréal évoquait un « constat global de dépassement de coûts et de non-respect du calendrier » dans le dossier des centres de traitement des matières organiques (CTMO). « Le projet de construction des CTMO ne s’est pas effectué en suivant un processus suffisamment rigoureux auquel on devrait s’attendre pour un projet d’une telle complexité et envergure », écrivait-elle.