Le nombre de collisions a bondi de 24 % dans le quartier où la petite Ukrainienne Mariia Legenkovska a été happée mortellement en décembre, aux abords du pont Jacques-Cartier, depuis le début du mégachantier dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Pour tenter de calmer le jeu, Montréal annonce un blitz de mesures, dont l’ajout d’une centaine de dos d’âne, la fermeture ou le changement de sens d’une dizaine de rues et l’implantation de plusieurs saillies de trottoir.

« Le contexte actuel nous encourage à aller beaucoup plus vite. L’augmentation des collisions dans les derniers mois – évidemment, on pense toujours au décès tragique de la jeune Mariia en décembre –, ça nous force à accélérer le pas, surtout que la fermeture du tunnel a rajouté de la pression », explique à La Presse la responsable de la mobilité au comité exécutif, Sophie Mauzerolle.

D’octobre à décembre 2022, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a en effet comptabilisé 161 collisions sur le territoire du poste de quartier 22, dans le Centre-Sud. Le bilan fait notamment état de 1 décès, celui de la petite Mariia, de 2 blessés graves, de 25 blessés légers et de 133 accidents avec dégâts matériels uniquement. C’est nettement plus lourd que le total de 130 collisions enregistrées durant la même période en 2021.

Globalement, le nombre de collisions a augmenté de 19 % sur toute l’année 2022 dans le secteur du Centre-Sud. La police y a recensé l’an dernier 613 collisions dans le secteur du poste de quartier 22, contre 514 en 2021.

Fait à noter : cette hausse de 24 % est d’autant plus importante que le nombre de collisions à l’échelle de la Ville est resté stable durant le dernier trimestre de 2022. Le SPVM a enregistré 4085 collisions dans l’ensemble de l’île d’octobre à décembre, soit une vingtaine de moins qu’à la même période l’année précédente.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Policier dirigeant la circulation sur la rue Papineau, avant l’accès au pont Jacques-Cartier

Mesures d’apaisement

Devant cette hausse des accidents, l’arrondissement de Ville-Marie a décidé de multiplier les mesures d’apaisement de la circulation. D’ici l’été, la Ville procédera donc à l’installation de 110 nouveaux dos d’âne permanents dans les environs. Une carte interactive doit être publiée incessamment pour informer la population de leur emplacement exact. Ces dos d’âne seront « répartis dans l’ensemble de l’arrondissement, avec une attention particulière au secteur du Centre-Sud », affirme la Ville.

Après avoir tenté de limiter les virages dans la rue Larivière, la Ville ordonnera maintenant sa fermeture complète à la circulation automobile entre l’avenue De Lorimier et la rue Parthenais.

À la sortie du pont, les véhicules roulent vite et le virage se fait aussi rapidement. On a mis des interdictions de virage en pointe, mais malheureusement, les gens ne respectent pas toujours la signalisation.

Sophie Mauzerolle, responsable de la mobilité au comité exécutif

« C’est une rue qui se situe entre deux portions du parc des Royaux. C’est aussi à côté de l’école Pierre-Dupuy. Ça fait plusieurs années qu’on nous demande d’intervenir », insiste encore la conseillère.

D’ici la saison estivale, des « mobiliers conviviaux » et de la végétation seront installés sur le tronçon de la rue Larivière, qui sera ensuite fermé à la circulation automobile. En 2024, un « aménagement permanent » sera ensuite intégré au parc des Royaux. Une séance d’information publique est prévue au cours de l’été avec les citoyens.

SOURCE : PLAN LOCAL DE DÉPLACEMENT 2020-2030 DE L’ARRONDISSEMENT DE VILLE-MARIE

Les rues Saint-Christophe, Berthier, Sainte-Rose et du Square-Amherst devraient aussi faire l’objet de « réaménagements », dont des saillies de trottoir et du mobilier urbain.

Non loin de là, cinq rues verront leur sens de circulation « inversé », pour faire en sorte que les automobilistes ne puissent plus « couper dans les petites rues locales », affirme Mme Mauzerolle.

Ainsi, les rues Fullum et Parthenais iront dorénavant vers le nord, respectivement entre Ontario et Sherbrooke, puis entre de Rouen et Sherbrooke. La rue de Rouen, elle, ira maintenant vers l’est entre Fullum et D’Iberville.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Bollards installés à l’intersection des rues de Rouen et Parthenais, où la petite Mariia a été mortellement happée par un conducteur en décembre 2022

Des mesures toucheront également la portion ouest de Ville-Marie. Deux autres rues, l’axe Ottawa entre les rues Queen et Prince et l’axe Sussex entre la rue Hope et le boulevard René-Lévesque seront aussi fermés à la circulation l’été prochain. Dans la rue Peel, on redirigera aussi le trafic vers le nord entre René-Lévesque et Sherbrooke, puis vers le sud dans les rues Hope et Sussex, entre René-Lévesque et Tupper.

Penser au réseau local

Pour la directrice générale de Piétons Québec, Sandrine Cabana-Degani, il faut saluer les efforts de la Ville, mais il est aussi pressant d’instaurer des changements plus structuraux dans le secteur.

« C’est une très bonne nouvelle de voir que la Ville agit pour sécuriser les intersections. Il faut vraiment redoubler d’efforts pour atténuer la circulation dans les rues locales. Cela dit, ça passe aussi par plus d’options de transport collectif. On ne s’en sortira pas si on continue dans cette lignée-là. Il y a de plus en plus de voitures sur les routes au Québec, et elles sont de plus en plus grosses », affirme-t-elle.

Fondamentalement, il faut apprendre de cette situation-là. À chaque fermeture comme celle du tunnel La Fontaine, il faut arrêter de penser que les gens prendront le réseau local, et advienne que pourra. Ça prend systématiquement un plan pour prendre en compte les répercussions sur le réseau local.

Pierre Barrieau, chargé de cours en planification des transports à l’Université de Montréal

« Décourager la circulation de transit était déjà la chose à faire pour soutenir la qualité de vie des résidants et prévenir les collisions mortelles dans les secteurs résidentiels de Ville-Marie. […] C’est encore plus nécessaire aujourd’hui pour maintenir le dynamisme et l’attractivité de notre centre-ville en pleine redéfinition », a de son côté expliqué Blaise Rémillard, responsable mobilité et urbanisme du Conseil régional de l’environnement de Montréal.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Circulation sur le pont Jacques-Cartier, à l’entrée de Montréal

Son collègue Emmanuel Rondia, directeur général du Conseil, se dit « convaincu » qu’après une phase d’adaptation normale, « nous pourrons constater une forte adhésion de la population à ces mesures et les voir reproduites ailleurs dans Ville-Marie et dans d’autres arrondissements ».

Dans une déclaration diffusée jeudi, la Ville de Montréal affirme d’ailleurs très clairement que « plusieurs mesures seront également en planification pour cette année et les années à venir, incluant des analyses visant l’implantation éventuelle d’une rue-école, la bonification du réseau cyclable local, la révision du plan de camionnage et la bonification du transport collectif ».

Tout récemment, pendant cinq jours au tournant du mois d’avril, la police de Montréal avait remis tout près de 800 constats d’infraction aux abords du pont Jacques-Cartier, dans le cadre d’un « blitz de surveillance » qui avait pour objectif de dissuader le blocage d’intersections par certains automobilistes qui s’engagent sans vérifier si l’espace est suffisant.

Avec Pierre-André Normandin, La Presse

En savoir plus
  • 71 %
    Un sondage mené l’an dernier par le SPVM montre qu’entre 71 % et 72 % des résidants des quartiers limitrophes au pont Jacques-Cartier, surtout entre les rues Ontario et Sherbrooke, jugent « qu’il y a du danger relié à la circulation automobile dans leur quartier ».
    Source : service de police de la ville de Montréal
    10
    Une dizaine d’intersections sont jugées très accidentogènes autour du pont Jacques-Cartier, dont deux où on a recensé plus de 50 collisions entre 2012 et 2017. Les autres en ont totalisé entre 30 et 50 chacune.
    Source : Plan local de déplacement Ville-Marie 2020-2030