Après des mois de conflit, Montréal va résilier son principal contrat avec le recycleur Ricova, a appris La Presse. La goutte de trop : l’entreprise menace de fermer le plus gros centre de tri de l’île, au risque de forcer l’interruption de la collecte des bacs verts dans une grande partie de la métropole.

Ricova, qui possède jusqu’à aujourd’hui le quasi-monopole du recyclage à Montréal, affirme être à un point de rupture : elle est incapable d’écouler les ballots de carton qui s’empilent à la sortie de ses lignes de tri depuis plusieurs mois. Ils contiennent trop de déchets de plastique : jusqu’à 25 % de contamination, selon nos informations.

« Nous manquons de temps et nous devenons désespérés », a écrit Dominic Colubriale – grand patron de Ricova – dans une lettre du 6 septembre à la Ville dont nous avons obtenu copie. « À Lachine, nous avons de l’espace d’entreposage extérieur pour environ 4 jours après quoi nous devrons fermer l’usine. » « La même situation prévaudra à Saint-Michel [l’autre centre de tri de Montréal] en moins d’une semaine si des solutions ne sont pas trouvées », ajoute-t-il. Ricova ne le mentionne pas directement, mais de telles fermetures risqueraient d’entraîner l’interruption de la collecte de recyclage, puisque des camions de recyclage ne pourraient pas décharger.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Cour du centre de tri de Lachine

La Ville dit refuser d’être prise en otage par une entreprise. Ses avocats ont annoncé mardi matin à Ricova qu’elle se tournerait à court terme vers un nouvel opérateur pour son centre de tri de Lachine, a appris La Presse.

« Comme on était devant un bris de contrat imminent, ça nous a mis dans une position pour résilier le contrat », a indiqué une source à l’hôtel de ville de Montréal. Elle n’était pas autorisée à parler à visage découvert en raison des complications juridiques du dossier.

On ne peut pas accepter que les collectes cessent.

Une source à l’hôtel de ville de Montréal

Deux sources municipales confirment que le processus de résiliation a été entamé. Ricova conservera toutefois son contrat d’opération du centre de tri de Saint-Michel, ainsi que ses contrats de collecte du recyclage. En plus d’exploiter les deux centres de tri, l’entreprise est en effet responsable de ramasser les bacs verts dans plusieurs secteurs de l’île. « On a confiance que l’entreprise va assurer la meilleure transition possible », a affirmé cette même source.

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Cour du centre de tri de Saint-Michel

Ricova n’a pas voulu commenter le dossier, mardi. L’entreprise a toutefois fait parvenir à La Presse une copie d’un ordre du jour pour une rencontre avec les autorités municipales tenue le 31 août dernier. Ricova y propose des solutions pour juguler la crise, notamment de déposer les ballots dans un entrepôt fourni par la Ville de Montréal ou encore d’« apporter temporairement tout le recyclage au site d’enfouissement ». Ricova demande aussi à Montréal de faire pression sur les autorités douanières fédérales afin qu’elles cessent de bloquer sa marchandise.

La Ville tente de vendre les ballots

La situation de Ricova s’est corsée depuis le printemps dernier. Les médias ont exposé des pratiques discutables de l’entreprise, dont l’envoi de ballots très contaminés vers l’Inde et l’utilisation d’une entreprise homonyme au Panamá.

Le Bureau de l’inspecteur-général (BIG) de Montréal l’a accusée d’avoir trompé la Ville en dissimulant des revenus à travers sa structure corporative. Son rapport aurait pu justifier la résiliation immédiate des contrats municipaux de Ricova, mais le comité exécutif de Montréal a préféré bannir l’entreprise de l’obtention de tout nouveau contrat pour une période de cinq ans. Ricova conteste le rapport devant les tribunaux.

Depuis ces revers, les autorités douanières canadiennes scrutent à la loupe les ballots de recyclage que Ricova tente d’exporter, selon la lettre de M. Colubriale.

Nous sommes devenus la cible de Douanes Canada. Les exigences demandées par Douanes Canada ne sont pas atteignables dans l’immédiat.

Dominic Colubriale, grand patron de Ricova, dans une lettre du 6 septembre à la Ville de Montréal

Quant au marché intérieur, les ballots de papier et de carton sont trop contaminés pour intéresser les sociétés papetières québécoises. Selon nos informations, la Ville a même contacté des entreprises comme Cascades et Kruger au nom de Ricova, dans les dernières semaines, afin de tenter de soulager les centres de tri d’un certain nombre de ballots de papier recyclé.

« Nous demeurons convaincus par expérience qu’il n’y a pas de marché interne pour les quantités que nous produisons », a écrit M. Colubriale.

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Des bacs de recyclage comme on en voit partout à Montréal

Construit au coût de 45 millions par la Ville de Montréal, le centre de tri de Lachine a été inauguré en 2019 par la mairesse de Montréal. L’utilisation d’équipements modernes promettait de remplacer les installations vétustes desquelles la métropole dépendait afin d’améliorer la qualité du tri et donc la valeur des ballots. Les installations n’ont toutefois jamais atteint les performances prévues au contrat, et la Ville n’en a jamais pris formellement possession.

Sous contrat pour gérer l’établissement, Ricova blâme le fabricant de la machinerie de tri installée dans le centre de tri. Selon nos informations, la Ville estime que Ricova n’emploie pas assez de main-d’œuvre pour effectuer adéquatement le triage.

Un repreneur tout désigné

Selon nos informations, les avocats de la Ville de Montréal estiment qu’aucun nouvel appel d’offres n’est nécessaire pour remplacer Ricova au centre de tri de Lachine.

C’est qu’en 2020, un contrat avait été conclu entre Montréal et la Société Via pour exploiter ces installations. Via s’était toutefois fait damer le pion par Ricova pour des raisons légales liées à une reprise de faillite.

C’est donc Via qui reprendrait l’exploitation du centre de tri de Lachine. Il s’agit d’un organisme à but non lucratif visant l’intégration des personnes handicapées en milieu de travail. L’organisation exploite déjà quatre centres de tri dans la province : Lévis, Québec, Rivière-du-Loup et Saguenay. Lachine deviendrait sa plus grosse installation.

L’opposition à l’hôtel de ville de Montréal a dénoncé un énième « échec » dans la relation difficile entre la métropole et son principal recycleur.

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Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent

« L’environnement semble être plus un slogan pour l’administration Plante qu’autre chose », a asséné Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent. « Ils ont démontré un manque flagrant de compétence dans ce dossier et un manque flagrant de transparence. »

À son avis, la mairesse Valérie Plante doit faire amende honorable et admettre les erreurs commises dans le dossier du recyclage.

« Il y a des milliers de Montréalais et de Montréalaises qui, de bonne foi, font leur recyclage et croient que ces matériaux vont être utilisés pour les bonnes raisons, a-t-il dit. L’administration doit publiquement offrir ses excuses pour son manque de rigueur, son manque de compétence dans ce dossier. L’administration doit être imputable pour ses gestes. »

2022, l’année pénible de Ricova

Depuis le début de l’année 2022, les tuiles s’accumulent pour Ricova et ses activités montréalaises. Rétrospective de cette année à oublier pour l’entreprise.

Janvier

Sans tambour ni trompette, la Ville révèle qu’elle n’a jamais pris possession de son centre de tri de Lachine – inauguré en 2019 – en raison de problèmes de performance. Des rapports d’experts révèlent que des milliers de tonnes de recyclage prennent le chemin du dépotoir.

Février

L’émission Enquête révèle que des ballots de papier triés à Montréal se retrouvent dans des régions industrielles de l’Inde, où ils sont retriés. Le plastique y est mal géré, parfois même brûlé dans des fours artisanaux. Le même mois, La Presse révèle qu’une poursuite allègue que Ricova fait passer certaines de ses transactions par une filiale au Panamá.

Mars

Le Bureau de l’inspecteur général (BIG) de Montréal rend public un rapport dans lequel il accuse Ricova de dissimuler des revenus du recyclage dans sa structure corporative. La Ville aurait ainsi perdu des sommes importantes en partage des profits liés à la revente des ballots. L’entreprise nie et réplique par une poursuite.

Mai

Le comité exécutif de la Ville de Montréal bannit Ricova de l’obtention de tout futur contrat jusqu’en 2027. Les contrats en cours demeurent toutefois valides.

En savoir plus
  • 58 %
    Proportion du recyclage de l’agglomération de Montréal qui devrait, à terme, aboutir au centre de tri de Lachine, qui a une capacité de traiter 100 000 tonnes de matière par année.
    Source : Ville de Montréal
    2019
    Inauguration en grande pompe du centre de tri de Lachine, qui devait régler les problèmes de tri du recyclage montréalais. La Ville de Montréal a toujours refusé d’en prendre formellement possession en raison de problèmes de performance.
  • Plus de 5000 tonnes
    Quantité de matières recyclables qui ont pris le chemin de l’enfouissement en dix mois au centre de tri de Lachine en raison du mauvais tri, selon un rapport d’expert dévoilé par La Presse en début d’année.
    Source : dossier judiciaire Ricova c. Machinex
    4
    Nombre de centres de tris gérés par Ricova en date d’aujourd’hui. En plus du centre de Lachine et de Saint-Michel, Ricova exploite aussi des installations à Châteauguay et au New Jersey.
    Source : site web de Ricova