La Ville de Montréal ne tolérera pas les campements « organisés » de personnes sans-abri sur son territoire, mais les organismes qui travaillent avec ces dernières préviennent qu’il y aura de plus en plus de tentes dans le paysage urbain au cours des prochaines semaines, conséquence de la crise du logement.

« De petits campements sont apparus un peu partout en ville et seront de plus en plus nombreux et visibles avec le beau temps », souligne James Hughes, président et chef de la direction de la Mission Old Brewery.

C’est très difficile pour les personnes en situation de pauvreté d’accéder au marché du logement en ce moment.

James Hughes, président et chef de la direction de la Mission Old Brewery

Sébastien* en sait quelque chose : il s’est retrouvé à la rue pour la première fois le 1er avril dernier, après avoir cohabité avec trois autres personnes, à la suite de son divorce, dans un quatre et demie à 1200 $ par mois, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. « Il y avait trop de monde dans le logement, ça faisait de la chicane, j’étais tanné », raconte-t-il, découragé.

Comme il ne connaissait pas les services offerts aux sans-abri, il a installé sa tente sur un terrain de gravier le long de la très fréquentée rue Notre-Dame. À ce moment, sept ou huit personnes avaient élu domicile à cet endroit, explique-t-il. Quelques-unes sont parties dans les derniers jours.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

De nombreux détritus jonchent le terrain du campement organisé.

Comble de malheur, le conducteur d’un camion municipal a écrasé sa tente il y a quelques jours. Il doit donc en trouver une autre, relate-t-il, lorsque nous le rencontrons sur le terrain jonché de carcasses de vélos, de lambeaux de tentes, de vieux matelas, de canettes de bière et d’autres détritus.

Éviter les évictions

D’autres campements ont fait leur apparition sous une autoroute, près de l’avenue Atwater, le long de la rue Viger, près de la station de métro Place-d’Armes et ailleurs en ville. « Nous ne voulons pas préciser où, parce qu’on veut éviter que la Ville vienne les évincer », dit Michel Monette, directeur général de l’organisme CARE Montréal.

On prévient aussi les gens de ne pas s’installer en trop grand nombre au même endroit, parce qu’il y a plus de risque qu’ils se fassent démanteler.

Michel Monette, directeur général de l’organisme CARE Montréal

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Campement rue Notre-Dame

Parce qu’en effet, l’administration municipale « ne tolérera pas les campements organisés de plusieurs tentes », indique Marikym Gaudreault, attachée de presse de la mairesse Valérie Plante.

La conseillère responsable de l’itinérance au comité exécutif, Josefina Blanco, a refusé notre demande d’entrevue, mais dans une déclaration écrite, elle relève les risques pour la sécurité de ceux qui choisissent de planter leur tente en ville.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Campement près de l’avenue Atwater

« L’été dernier, nous avons évité le pire alors qu’un incendie aurait pu provoquer l’explosion d’une bonbonne de propane en plein quartier résidentiel. Si le Service de sécurité incendie de Montréal juge le site non sécuritaire ou s’il y a d’autres enjeux en lien avec la sécurité civile, il ordonnera son évacuation », explique Mme Blanco.

Elle assure cependant que « ces opérations réalisées par les intervenants sociaux sont faites avec une grande sensibilité. Ils agissent de façon graduelle et humaine dans le respect de la dignité des personnes vulnérables ».

Agir dès qu’une tente apparaît

Selon Benoit Langevin, porte-parole de l’opposition officielle à l’hôtel de ville en matière d’itinérance, il faudrait toutefois agir dès qu’une tente apparaît, et avoir des options à offrir aux personnes sans-abri.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Langevin, porte-parole de l’opposition officielle à l’hôtel de ville en matière d’itinérance

« C’est un film d’horreur qu’on a vu au cours des deux dernières années, s’insurge-t-il. On ne peut pas laisser des gens occuper l’espace public et enfreindre des règlements municipaux sans rien faire. »

Il blâme le manque de constance dans les services offerts aux personnes itinérantes.

On a vu des refuges qui ouvrent trois mois, puis ferment deux mois, qui ouvrent l’hiver et ferment l’été.

Benoit Langevin, porte-parole de l’opposition à l’hôtel de ville en matière d’itinérance

Selon Michel Monette, il y aura cet été à Montréal 300 places d’hébergement de moins que l’hiver dernier.

Le refuge administré par son organisme, qui offrait auparavant 120 places à l’hôtel Royal Versailles, a d’ailleurs dû réduire sa capacité à 70 places en déménageant au sous-sol de l’église Sainte-Jeanne-d’Arc au début du mois.

Ce manque de places poussera de plus en plus de gens vers l’espace public, ce qui leur donne aussi plus de liberté, puisque les refuges imposent à leur clientèle un grand nombre de règlements. « C’est plus agréable d’avoir le contrôle sur ta vie que d’avoir quelqu’un qui la contrôle pour toi », fait observer M. Monette.

* Notre interlocuteur a préféré taire son nom de famille.