Le port de caméras corporelles par les policiers est de nouveau réclamé dans plusieurs villes canadiennes. Montréal n’est pas en reste : cinq arrondissements ont demandé d’agir en ce sens cette semaine, trois ans après la fin d’un projet pilote dans l’île. L’administration de Valérie Plante s’est dite ouverte à une telle mesure. Les études et les conclusions des spécialistes divergent cependant sur son efficacité.

« Les études vont dans tous les sens, admet Greg Brown, professeur en criminologie de l’Université Carleton. Ça cause un peu de confusion. Mais c’est difficile de mesurer quelque chose qui n’est pas arrivé. »

Lui-même se dit favorable aux caméras. « Je pense que dans les cas où il y aurait une tendance à mal agir, ça peut freiner l’élan », note-t-il.

Aux États-Unis, de nombreuses grandes villes se sont dotées de la technologie. Au Canada, malgré nombre de projets pilotes, seuls les policiers de la ville de Calgary portent actuellement une caméra. Toronto pourrait bientôt lui emboîter le pas. Le chef de police de la métropole souhaite l’accélération du processus, après la mort le 27 mai de Regis Korchinski-Paquet, qui a fait une chute du 24e étage pendant une intervention policière.

À Halifax, une pétition pour les caméras corporelles comptait plus de 32 000 signatures mercredi. La Gendarmerie royale du Canada subit aussi des pressions pour s’en équiper après qu’un homme eut été projeté au sol par la portière d’une voiture de police au Nunavut en mai.

« Plus de transparence »

À Montréal, le chef de l’opposition, Lionel Perez, d’Ensemble Montréal, a rappelé que son parti avait déjà tenté de convaincre l’administration d’adopter la mesure, même si un rapport sur le projet pilote, déposé en 2019, ne concluait pas à son efficacité.

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Lionel Perez, chef d’Ensemble Montréal

« Nous avons nos propres enjeux sur le profilage racial [à Montréal], a souligné M. Perez dans une entrevue téléphonique. Les études démontrent que c’est un outil, pas le seul outil, mais un outil qui aide justement à s’assurer d’une meilleure [reddition de comptes], de plus de transparence et ça change le comportement des policiers. »

Il ne s’agit pas d’une « solution magique », convient Lionel Perez, jugeant la sensibilisation importante.

L’arrondissement où il est conseiller, celui de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, mais aussi ceux de Montréal-Nord, de Pierrefonds-Roxboro, de Saint-Laurent et de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles ont demandé à la Ville d’implanter la mesure.

Dans un message texte envoyé par son attachée de presse, Rosannie Filato, membre du comité exécutif responsable de la sécurité, a fait savoir que l’administration était « favorable à l’implantation de caméras portatives » et que la Ville devait travailler avec le gouvernement du Québec « à un nouveau déploiement qui aura de véritables chances de succès ».

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Rosannie Filato, membre du comité exécutif responsable de la sécurité à la Ville de Montréal

Elle n’a pas répondu à une demande d’entrevue.

Pas de preuves « claires »

Le professeur agrégé Massimiliano Mulone, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, estime qu’il n’y a « pas de preuves scientifiques claires » des bienfaits du port de la caméra par les policiers.

« Ce n’est pas ça qui va améliorer les relations [entre les policiers et les minorités] », juge le coauteur d’un rapport sur le profilage racial. Le cas de George Floyd a été filmé par des passants, mais n’a pas empêché le geste. « [La caméra corporelle], c’était aussi pour répondre aux gens qui filment, pour dire : on aura chacun notre version filmée », rappelle-t-il. Une mesure qui incite à de la méfiance de part et d’autre, croit-il. Il prône plutôt une redéfinition de la mission policière et une réflexion sur ses interventions.

Du côté du SPVM, on estime qu’il y a des « avantages et des inconvénients » aux caméras. « Si un policier fait une interception pour conduites avec facultés affaiblies, au niveau de l’accumulation de preuves, c’est intéressant, illustre l’inspecteur André Durocher. Si vous appelez pour une entrée par effraction, il n’y a aucune valeur ajoutée. »