La stratégie marketing des condos Osha du quartier Hochelaga-Maisonneuve suscite la grogne du conseil de bande de Kahnawake. Les promoteurs, qui ont baptisé leur projet en citant une histoire de l'ancien chef mohawk Billy Two Rivers, n'ont jamais consulté le principal intéressé ni sa communauté.

Une première publicité des condos Osha a récemment été affichée sur un panneau publicitaire à Montréal. On y présente une illustration de la rencontre, en 1535, entre Jacques Cartier et le chef du village iroquois d'Hochelaga.

Sur le site internet oshacondos.com, le promoteur Altius et son partenaire Claridge expliquent aussi que «le terme Osha a été choisi pour sa signification historique».

«Selon le chef Billy Two Rivers, le nom Hochelaga serait un dérivé des termes Osha et Aga, qui auraient été donnés par les autochtones à Jacques Cartier et à son équipage à leur arrivée. C'est en tendant la main pour se présenter, comme la coutume européenne le veut, que les Français se seraient vu attribuer le nom de Osha Aga (qui signifie peuple de la main) par les Iroquois», écrit-on.

«C'est aujourd'hui pour vous souhaiter la bienvenue dans un projet exceptionnel que l'équipe derrière Osha vous tend la main !», conclut-on.

«Une forme d'appropriation»

Ross Montour, qui est chef au conseil de bande de Kahnawake, ne ménage pas ses mots : «This is wrong.»

«C'est une forme d'appropriation culturelle. Et puis les promoteurs n'ont pas demandé la permission à Billy Two Rivers pour utiliser son nom et cette histoire», affirme-t-il en parlant de la stratégie publicitaire du promoteur. 

«Être utilisé de la sorte pour faire la promotion de condos nous lie en quelque sorte au projet sans notre consentement.» 

Par le passé, Billy Two Rivers - un ancien chef à Kahnawake et un ancien lutteur professionnel - a même poursuivi le chanteur Van Morrison pour avoir utilisé sans son consentement une photo d'un de ses combats sur la pochette de son album Roll with the Punches.

M. Two Rivers, aujourd'hui hospitalisé dans un centre de soins de longue durée, selon ce que nous a indiqué le conseil de bande de Kahnawake, n'a pas commenté le cas des condos Osha.

Rappeler les racines du quartier

Le promoteur de l'ensemble résidentiel, Jacques Plante, rejette de son côté l'étiquette d'appropriation culturelle.

«Normalement, un projet à Montréal, tu peux l'appeler par son adresse, ou tu es un peu plus créatif et tu lui trouves une identité», explique-t-il.

«Rappeler les racines du nom d'Hochelaga, ce n'est que ça. Et l'image qu'on voit, c'est une image historique de Jacques Cartier qui tend la main. Avec le propos, ça marche», souligne de son côté Hugo Deschênes, responsable de la stratégie marketing des condos Osha.

«On voulait trouver une façon de nommer le projet pour qu'il soit enraciné dans Hochelaga. [...] On a fouillé pour savoir d'où ça venait, parce que, historiquement, on savait bien que c'était un mot amérindien. Ça ne sonnait pas très français. On est arrivé sur un article Wikipédia [qui] citait le fait qu'un chef autochtone disait que c'était juste une mauvaise compréhension des termes Osha Aga. On trouvait l'angle super intéressant», poursuit-il, ajoutant qu'il n'a pas demandé la permission à Billy Two Rivers d'utiliser son nom «parce que ç'a a été trouvé sur internet, c'est du domaine public».

Philippe Meilleur, président du conseil d'administration du Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec et directeur général de Montréal autochtone, considère pour sa part que le cas des condos Osha soulève plusieurs questions.

«C'est quoi, l'intention du promoteur? Est-ce que c'est de faire un pont avec le mot Hochelaga et c'est tout? Si c'est le cas, [la récupération avec l'histoire mohawk] sonne pas mal comme un cas d'appropriation culturelle. Aussitôt qu'on identifie un projet avec une communauté et son histoire, on ne peut pas simplement dire que l'on parle d'eux sans que le projet ait au moins un impact auprès de la communauté», affirme-t-il.

«Ce que je trouve désolant, c'est que la seule implication de la culture autochtone est ici superficielle. Ça semble être une stratégie pour faire bien paraître un projet qui, soit dit en passant, s'inscrit dans le deuxième quartier à Montréal avec le plus de personnes qui s'identifient comme étant autochtones», ajoute-t-il.

Une explication historique boiteuse

Mais au-delà des questions d'appropriation culturelle, l'explication historique fournie dans les publicités des condos Osha ne reflète pas la réalité historique telle qu'elle est connue à ce jour, ont affirmé plusieurs historiens consultés par La Presse.

«Jacques Cartier n'apprend pas l'existence du terme Hochelaga lors de sa rencontre avec le chef [du village]. Au contraire, il connaît déjà ce nom à son arrivée, une information probablement fournie par d'autres Iroquoiens de la région de Québec», explique Alain Beaulieu, professeur d'histoire à l'UQAM et chercheur au Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones.

«Lors de la rencontre entre Cartier et le chef d'Hochelaga, il n'y a pas non plus de serrage de main. C'est vraiment une projection d'une pratique assez récente. Je ne sais d'ailleurs pas si l'on serrait la main au XVIe siècle», poursuit-il.

«Ce qui est clair quand on lit la description de Cartier, c'est que tout s'est fait en suivant un protocole d'inspiration iroquoienne lors de cette rencontre.»

Questionné à son tour sur l'interprétation fournie dans les publicités des condos Osha, Christian Gates St-Pierre, professeur au département d'anthropologie de l'Université de Montréal, l'a aussi jugée «fort peu probable».

«C'est la première fois que j'entends parler de cette hypothèse. Hochelaga n'était pas le nom donné aux Français, mais plutôt au village iroquoien visité par Jacques Cartier et son équipage. De plus, l'étymologie traditionnelle octroie plutôt au mot Hochelaga le sens de "entre deux monts" ou de "chemin"», explique-t-il.