Le maire de Châteauguay, l'avocat Pierre-Paul Routhier, a été reconnu coupable d'une infraction déontologique pour s'être placé en situation de conflit d'intérêts en représentant devant la justice, contre sa propre municipalité, le conseiller municipal Michel Gendron. « Nul ne peut servir deux maîtres à la fois », lui a rappelé le Barreau du Québec.

Dans une décision unanime datée du 27 novembre dernier, le Conseil de discipline du Barreau estime que Me Routhier a fait « un acte dérogatoire à l'honneur et à la dignité de la profession d'avocat ». Pour le Barreau, il y va de la confiance du public dans le système judiciaire et non d'une simple « situation cocasse », comme l'a qualifiée Pierre-Paul Routhier.

Selon son ordre professionnel, il est évident qu'une fois élu à la mairie de Châteauguay, Pierre-Paul Routhier a continué d'agir à titre d'avocat du conseiller municipal Michel Gendron, malgré son litige avec la municipalité. « En tant que maire de l'une des parties et de représentant légal de l'autre partie, il pourrait être porté à préférer l'une d'entre elles, ou son jugement et sa loyauté pourraient en être défavorablement affectés, en plus de déconsidérer l'administration de la Justice », peut-on lire dans la décision.

En avril dernier, l'avocat-maire a revêtu la toge et s'est présenté devant la Cour d'appel, qui entendait le dossier de M. Gendron. Ce dernier en appelait d'une décision de la Cour supérieure lui intimant de présenter des déclarations pécuniaires à la Ville de Châteauguay qui préciseraient les immeubles appartenant à son entreprise Gestion Mike Gendron inc. ; la Cour d'appel lui donnera raison dans les mois suivants.

Devant le tribunal, Me Routhier s'est dit disponible pour répondre à des questions étant donné qu'il avait participé à la rédaction du mémoire. La Cour n'a pas eu recours à ses services. Trois semaines avant l'audience, elle avait communiqué avec lui, ainsi qu'avec l'avocat représentant Châteauguay, « afin de leur demander si le "dédoublement des rôles" de l'avocat de M. Gendron [Me Routhier] empêcher[ait] l'appel de procéder ».

ARGUMENTS REJETÉS

Dans sa décision, le Conseil de discipline du Barreau souligne que le maire a tenu un discours contradictoire qui a créé une certaine confusion. Dans son argumentaire écrit, Me Routhier a indiqué avoir agi à titre d'amicus curiae (collaborateur du tribunal) et ne pas avoir facturé son temps. À cela, le Conseil de discipline réplique qu'« un avocat ne peut s'improviser amicus curiae », que seuls la Cour ou un juge peuvent le faire. Quant au travail pro bono, il ne modifie en rien les obligations déontologiques de l'avocat envers son client.

Le maire a dit à plusieurs reprises avoir transmis le dossier à son associée, Me Josianne Goulet. Mais c'est toujours son cabinet qui représente Michel Gendron, note-t-on. D'ailleurs, appelée à témoigner devant le Conseil de discipline, Me Goulet a dit ignorer ce que signifie « la mise en place d'une muraille de Chine », une procédure pour éviter les apparences d'un conflit d'intérêts dans un cabinet d'avocats.

En février dernier, La Presse a exposé la situation de Pierre-Paul Routhier. Le même jour, une citoyenne de Châteauguay portait plainte. Quelques semaines plus tard, c'était au tour de la Ligue d'action civique de le faire. Son président Rodolphe Parent s'est dit hier satisfait de la décision. « Ça va redonner confiance aux citoyens dans le fait qu'on ne laisse pas les maires faire ce genre de choses. C'est une décision qui aura un effet positif », croit-il.

Me Routhier n'a pas témoigné devant le Conseil de discipline. La sanction qui lui sera imposée sera connue lors d'une audience ultérieure. Il n'a pas rappelé La Presse.