Le nouveau pont de la rue Saint-Jacques, entre l'avenue Addington et le boulevard Décarie, devait être l'une des premières grandes structures complètement achevées du projet Turcot lors de son ouverture... en 2016.

Perché en haut de la falaise Saint-Jacques, au-dessus de l'autoroute Décarie, avec son mât de 55 m de hauteur, ses gracieux haubans et son éclairage artistique, le nouveau pont « signature » de la métropole devait dominer tout le paysage, pendant que les chantiers se poursuivaient, au bas de la côte, dans le sud-ouest de la ville.

Quand il ouvrira finalement à la circulation, d'ici la fin de 2018, le nouveau pont de la rue Saint-Jacques accusera deux ans et demi de retard. Et il viendra aussi avec une facture 54 % plus élevée que celle qui était prévue à la signature du contrat, en février 2014.

Le ministère des Transports du Québec a autorisé en deux occasions des « dépenses supplémentaires » totalisant presque 30 millions pour ce projet. Il s'agit des extras les plus importants accordés pour un seul contrat du MTQ depuis 2013.

Ces extras s'expliquent par le versement en 2015 de 17,7 millions au consortium DB-Aecon pour achever les travaux de renforcement d'un collecteur (9 millions), réaliser des travaux d'expertise additionnels (1 million) et compenser les inconvénients du consortium pour le report de la construction du pont (7,7 millions).

Puis en 2018, le MTQ a consenti un deuxième « extra » de presque 12 millions pour la réalisation de certains travaux en accéléré, des modifications aux méthodes de travail et le morcellement du chantier en trois sites distincts.

Les coûts du pont de la rue Saint-Jacques sont ainsi passés en quatre ans de 55 millions à presque 85 millions.

UN « IMPRÉVU » DE 50 MILLIONS

Le retard et le gonflement des coûts additionnels sont entièrement attribuables à un des plus importants « imprévus » survenus en quatre ans dans le vaste projet de reconstruction de l'échangeur Turcot, estimé à 3,7 milliards : le déplacement complet sur plusieurs centaines de mètres d'un collecteur de la Ville de Montréal qui fait 3 m de diamètre, enfoui directement dans l'axe de la rue Saint-Jacques, à 30 m sous terre.

Le Ministère savait que le collecteur Haut Saint-Pierre de la Ville de Montréal passait sous la rue Saint-Jacques. Des travaux de renforcement du collecteur étaient même prévus dans le contrat de construction du nouveau pont de la rue Saint-Jacques.

Mais « son état de dégradation était plus avancé que prévu », affirme le porte-parole du Ministère, Martin Girard.

À l'automne 2014, malgré des travaux de consolidation, des spécialistes du Ministère craignent toujours que la démolition de l'ancien pont d'étagement, à quelques mètres seulement au-dessus du collecteur, le recompactage du sol et la masse des nouvelles infrastructures qui seront construites en surface endommagent le grand ouvrage municipal. On prend alors la décision de dévier le collecteur pour l'enfouir sous le nouveau boulevard Pullman, plusieurs mètres en contrebas.

En 2015, deux contrats totalisant près de 40 millions sont attribués de gré à gré par le ministère des Transports au consortium DB-Aecon Pont Saint-Jacques, qui construit le pont Saint-Jacques, et à la firme de construction L.A. Hébert. Un contrat de surveillance du chantier est aussi attribué à un consortium formé par les sociétés d'ingénierie Axor et exp pour 1,4 million.

En vertu de plusieurs autorisations de « dépenses supplémentaires » du Ministère sur ces trois contrats, la déviation du collecteur Haut Saint-Pierre a coûté, en fin de compte, plus de 51 millions, soit 29 % de plus que le total prévu.

ESPACE RESTREINT ET ÉCHÉANCIER CRITIQUE

Pendant qu'on dévie le collecteur, on ne démolit pas le pont d'étagement de la rue Saint-Jacques et on ne construit pas de nouvelles structures en vue de son remplacement. Le déplacement du collecteur Haut Saint-Pierre retarde donc de deux ans la construction du nouveau pont.

Mais il y a un hic : le retard du chantier du pont Saint-Jacques torpille allègrement la séquence des nombreux autres chantiers prévus dans le même secteur par le constructeur principal du projet, KPH Turcot.

À l'origine, explique le porte-parole du MTQ, « le Ministère devait avoir terminé la construction du pont [Saint-Jacques] avant le début des travaux de KPH Turcot dans ce secteur ». Il y avait une bonne raison pour cela.

Les voies d'autoroute qui passent sous le pont, par exemple, sont à reconstruire. Il faut aussi de nouvelles bretelles pour relier l'A15 aux autoroutes 20 et 720. Sans parler de la construction du nouveau boulevard Pullman, des travaux majeurs prévus dans la rue Saint-Jacques et en périphérie de l'échangeur.

En s'insérant dans un espace très largement occupé par d'autres chantiers majeurs, DB-Aecon doit aussi modifier ses méthodes en fonction des aires réduites dont il dispose pour construire le pont.

DES EXTRAS DE 68 MILLIONS

Les « dépenses supplémentaires » autorisées par le ministère des Transports dans le cadre du projet Turcot ne se limitent pas aux travaux du pont Saint-Jacques et du collecteur Saint-Pierre. Elles totalisent à ce jour plus de 68 millions, selon des données du ministère des Transports du Québec (MTQ).

Le coût global du projet Turcot est estimé à 3,7 milliards. La grande majorité des travaux prévus jusqu'en 2020 est la responsabilité du consortium privé KPH Turcot, sauf ceux du volet 1 du projet Turcot.

Doté d'une enveloppe globale de 590 millions, ce volet 1 regroupe des interventions majeures prévues en périphérie de l'échangeur Turcot, qui relèvent toutes exclusivement du Ministère. C'est dans ce volet que nous avons relevé ces importants extras.

Presque tous les grands travaux de construction sous la responsabilité du MTQ ont connu des ajustements de coûts fréquents et importants.

En tout, 9 contrats d'une valeur globale de 211 millions ont fait l'objet de 16 autorisations de « dépenses supplémentaires » totalisant 68,4 millions, en trois ans. Les sommes autorisées représentent une augmentation de près du tiers (32,4 %) des coûts de ces projets par rapport aux montants prévus à la signature de ces contrats (voir le tableau).

Photo Bernard Brault, La Presse

Avec son mât de 55 m de hauteur, ses gracieux haubans et son éclairage artistique, le nouveau pont Saint-Jacques, au-dessus de l'autoroute Décarie, devrait ouvrir à la circulation d'ici la fin de 2018, avec deux ans et demi de retard.