Québec a adopté en octobre dernier un projet de loi pour lutter contre l’obsolescence programmée et favoriser la réparabilité des biens. Mais pour une équipe de recherche qui se penche sur l’affichage environnemental, le prolongement de la durée de vie des produits passe par l’implantation d’un indice de durabilité.

Que prévoit déjà cette nouvelle loi contre l’obsolescence programmée ?

Il est désormais interdit au Québec de faire le commerce de biens dont l’obsolescence est programmée, c’est-à-dire dont la durée normale de fonctionnement a été délibérément limitée, comme une imprimante qui s’arrêterait de fonctionner au-delà d’un nombre prédéterminé de feuilles. Au cours des trois prochaines années, d’autres mesures entreront en vigueur. Les fabricants de plusieurs catégories de biens devront fournir une garantie de bon fonctionnement d’une durée prédéterminée et s’assurer que les pièces de rechange et les services de réparation pour leurs produits soient disponibles.

Le Québec est la deuxième législation au monde après la France à interdire l’obsolescence programmée. C’est une avancée importante, non ?

Tout à fait. Mais selon une équipe de recherche interdisciplinaire composée de professeurs en design, en communication et en génie de l’Université Laval, de l’Université de Montréal, de l’École de technologie supérieure et de Polytechnique Montréal, il faut plus.

Pour entraîner un véritable allongement de la durée de vie des produits, ces mesures devraient s’accompagner d’un indice de durabilité. Un avis partagé par Équiterre, qui, après l’adoption du projet de loi, a demandé l’ajout d’un tel indice pour aider les Québécois à faire des choix éclairés.

D’ailleurs, un sondage commandé par la Commission européenne en 2018 montrait que les consommateurs privilégient la durabilité plutôt que la réparabilité. Or, beaucoup de produits sont remplacés avant même d’avoir atteint la fin de leur durée de vie technique. C’est à cette « obsolescence relative » que Claudia Déméné, professeure agrégée et directrice de l’École de design de l’Université Laval, et son équipe souhaitent s’attaquer en développant un affichage environnemental qui guiderait les consommateurs dans leurs choix.

« On s’est rendu compte qu’on a beau essayer de concevoir des produits réparables et durables, si le consommateur les remplace tous les deux, quatre ou cinq ans, sans même tenter une réparation ou sans les faire diagnostiquer, on en vient à laisser place à toutes ces formes d’obsolescences technologique, écologique, économique et esthétique », remarque-t-elle.

PHOTO WHITTEN SABBATINI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le consommateur doit pouvoir avoir la possibilité de réparer ses appareils technologiques.

À quoi pourrait ressembler un indice de durabilité ?

Lors du 91congrès de l’Acfas, tenu à Ottawa à la mi-mai, Claudia Déméné a dévoilé les résultats des deux premières phases du projet de recherche sur lequel son équipe travaille depuis 2018 et qui devraient faire l’objet d’une publication scientifique plus tard cette année. La professeure a présenté les propositions d’affichage de durée de vie qui ont été testées auprès de consommateurs lors de groupes de discussion. C’est celle du demi-cercle, présentant une durée de vie en années, qui a été la plus appréciée.

VISUEL FOURNI PAR L’ÉQUIPE DE RECHERCHE

Propositions d’affichage de durée de vie élaborées dans le cadre du projet de recherche « Vers un affichage environnemental de la durée de vie des produits électroniques par une intervention du design »

Pourquoi ne pas adopter l’affichage français qui prévoit une note de 1 à 10 ?

Claudia Déméné, qui étudie le sujet depuis une quinzaine d’années, ne croit pas que ce type d’information puisse réellement amener les gens à conserver plus longtemps un appareil. « Notre hypothèse de recherche est que parmi toute l’information de nature environnementale qui devrait être communiquée sur un produit, il faut une véritable durée de vie qui soit percutante pour que les consommateurs puissent se dire : mon produit doit durer dix ans. Ce n’est pas correct que je m’en défasse après cinq ans parce que je veux une version qui soit plus fine, plus esthétique, plus performante. »

Comment faire en sorte que ce nombre d’années (ou de cycles dans le cas des laveuses, par exemple) ne soit pas vu comme une date de péremption ?

PHOTO PATRICK T. FALLON, ARCHIVES BLOOMBERG

L’affichage de l’indice de durabilité doit permettre d’éviter que le consommateur change son appareil pour des raisons d’esthétique ou de performance.

C’est le danger d’un affichage statique qui serait apposé sur le produit. « On ne souhaite pas que ce soit un levier au remplacement », souligne Mme Déméné.

C’est pourquoi, dans une troisième phase du projet qui doit démarrer l’été prochain et s’étendre sur cinq ans, son équipe travaillera à concevoir un affichage connecté et augmenté qui pourrait être accessible sur une application mobile. La durée de vie deviendra ainsi dynamique et s’ajustera selon l’utilisation de l’appareil, son entretien et sa réparation.

Un consommateur serait ainsi en mesure de savoir qu’en changeant la batterie de son téléphone, par exemple, il en augmentera la durée de vie de 1000 ou 2000 heures.

L’affichage augmenté fournira, quant à lui, l’empreinte écologique du produit, c’est-à-dire des informations sur les principaux impacts environnementaux calculées sur l’ensemble de leur cycle de vie.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Un affichage connecté et augmenté permettrait de mesurer en temps réel la durée de vie d’un appareil, notamment après une réparation.

Comment ensuite mettre en place un tel système ?

Pour la chercheuse, cela ne passe pas nécessairement pas un renforcement législatif, mais certainement par un programme de sensibilisation du grand public. « On a beaucoup essayé de légiférer du côté des fabricants et force est de constater que ça n’a pas tant que ça renforcé l’écoconception. Ça prend un programme de sensibilisation, obligatoire ou pas, pour mieux informer des enjeux d’allonger la durée de vie des produits électroniques. Je pense que c’est la première chose à faire. »