Ghislain Côté, coordonnateur du ministère de l’Environnement qui avait écrit au ministre Benoit Charette pour dénoncer la gestion du dossier Northvolt, vient de quitter son emploi, estimant que le fonctionnement de l’organisation ne correspond plus à ses valeurs.

« J’avais beaucoup d’espoir en la fonction publique québécoise. Je me voyais pouvoir être quelqu’un qui allait œuvrer à aider l’organisme qu’est le ministère de l’Environnement à se déployer, à s’améliorer et à faire en sorte que les citoyens soient entre de bonnes mains. Malheureusement, récemment, j’ai senti que moi, en tant que personne, je voulais peut-être plus que l’organisme », a expliqué M. Côté en entrevue téléphonique avec La Presse mercredi.

Le biologiste travaillait comme coordonnateur de l’équipe d’analyse et d’expertise à la Direction régionale du Bas-Saint-Laurent jusqu’à vendredi dernier. Il était au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) depuis plus de six ans.

« J’ai mal à mon ministère », avait-il écrit dans sa « Lettre à mon ministre », envoyée à M. Charette à la fin de février. Cette lettre avait été citée par Radio-Canada1, mais M. Côté n’avait pas donné d’entrevue.

Le ministre Benoit Charette avait alors réagi publiquement, assurant qu’« aucune pression politique » n’avait été exercée sur les employés responsables du dossier Northvolt2. La direction du Ministère avait aussi parlé au personnel.

M. Côté avait rédigé une deuxième lettre, adressée à ses supérieurs à l’interne. Il dénonçait le manque de « rigueur » de certaines sorties gouvernementales, et posait des questions « afin de [s]’outiller et de pouvoir répondre aux intervenants sur [son] territoire ».

« Comment expliquez-vous les déclarations sur la place publique qui viennent avant qu’un processus d’analyse complet et indépendant soit complété ? », avait-il notamment demandé.

PHOTO FOURNIE PAR GHISLAIN CÔTÉ

Le biologiste Ghislain Côté

« Depuis la fin février, […] il n’y a aucune réponse qui nous a été fournie », a affirmé M. Côté mercredi. « Donc je sentais qu’il y avait une mouvance, et des décisions qui étaient prises par l’organisme, qui n’allaient pas dans le sens de mes valeurs ni des valeurs qui sont soutenues par l’organisation. »

« Les dossiers de ressources humaines sont des dossiers confidentiels. Par conséquent, le Ministère ne peut émettre aucun commentaire à ce sujet », a indiqué une porte-parole du MELCCFP par courriel.

« Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite et nous le remercions pour ses années de services au ministère de l’Environnement », a réagi le cabinet de M. Charette, par courriel.

Appel « à la communication et à la transparence »

Le but n’est pas de « prendre les microphones », a assuré M. Côté.

« J’ai encore espoir que toute cette saga sera positive et constructive au final, même si à court terme, je ne vois pas que ce sont les orientations que le Ministère semble avoir prises. »

Il souhaite « que la politique reste entre les mains des politiciens », et que les organismes gouvernementaux qui leur fournissent rapports et recommandations « puissent œuvrer en toute indépendance ».

Il en appelle aussi « à la communication et à la transparence », tant « au sein des organismes » qu’avec « le public, la société, à qui on est redevable en tant que professionnel qui travaille au gouvernement ».

Il a d’ailleurs trouvé « aberrant » que le premier ministre François Legault ait présenté « une orange et une banane » pour parler du projet Northvolt, alors que « les gens avaient des questions qui étaient intelligentes et pertinentes ».

Le projet de méga-usine de batteries de Northvolt, qui implique la destruction de milieux humides en Montérégie, n’est pas soumis à une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Son processus d’autorisation environnementale a soulevé de nombreuses questions et critiques depuis l’automne dernier.

Le projet aurait déraillé s’il avait dû se soumettre à une évaluation du BAPE, a fait valoir le ministre Benoit Charette en entrevue avec La Presse il y a un mois3.

Voilà qui aurait dû être dit « dès le début », estime aujourd’hui M. Côté.

« Ça aurait eu un coût politique, mais ça aurait eu le mérite d’être clair. »

Le biologiste entrera lundi prochain au service de la firme WSP, où il a déjà travaillé près de six ans, de 2011 à 2016.

Il a annoncé sa démission par écrit à la mi-mars, puis a transmis une déclaration d’intérêt au Ministère pour l’informer de son nouvel emploi chez WSP.

Puisque le Ministère « transige avec WSP dans le cadre d’appels d’offres et d’octroi de contrats », l’ancien coordonnateur devra respecter le « caractère confidentiel et secret » des informations auxquelles il a eu accès, lui a rappelé le MELCCFP dans un avis éthique.

Cet avis éthique fait aussi mention du « battage médiatique concernant Northvolt » dont le destinataire « a fait l’objet ». L’ancien fonctionnaire devrait « faire valoir son devoir de loyauté » envers « l’image du ministère », préconise le document.

« Je considère que le Ministère manque de loyauté envers ses employés, et envers sa mission », a commenté M. Côté. « Mon rêve de voir un ministère œuvrer à la protection de l’environnement en toute transparence ne fera qu’améliorer les services qu’il rend à la population. »

Avec la collaboration de Charles Lecavalier et Henri Ouellette-Vézina, La Presse

1. Lisez l’article de Radio-Canada 2. Lisez l’article « Pas d’ingérence politique, dit Benoit Charette » 3. Lisez l’article « On n’aurait pas eu de projet » avec un BAPE, affirme Benoit Charette »

L’histoire jusqu’ici

28 février

« Aucune pression politique » n’a été exercée sur les employés chargés de l’évaluation environnementale du projet de méga-usine de batteries de Northvolt, assure le ministre de l’Environnement, Benoit Charette. M. Charrette réagissait à deux messages signés par un coordonnateur de son ministère, dont Radio-Canada avait fait état. « J’ai mal à mon ministère », a notamment écrit le fonctionnaire Ghislain Côté dans sa « Lettre à mon ministre ».

5 mars 

Le projet de Northvolt aurait déraillé s’il avait dû se soumettre à une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), affirme le ministre Charette en entrevue avec La Presse.

5 avril

Ghislain Côté, coordonnateur de l’équipe d’analyse et d’expertise à la Direction régionale du Bas-Saint-Laurent du ministère de l’Environnent, quitte son emploi.

10 avril

« Je sentais qu’il y avait une mouvance, et des décisions qui étaient prises par l’organisme, qui n’allaient pas dans le sens de mes valeurs ni des valeurs qui sont soutenues par l’organisation », explique M. Côté en entrevue avec La Presse.