En 2018 naissait le mouvement « flygskam », ou la honte de prendre l’avion, à cause de son impact environnemental. Parallèlement, l’industrie aéronautique semble investir massivement dans la recherche sur les technologies plus propres. Pourrions-nous réellement voyager dans des avions « verts » à court terme ?

Émissions mondiales

L’aviation commerciale est responsable de 3 % à 6 % du réchauffement climatique global. Le pourcentage bas de la fourchette ne comprend que les émissions de CO2, tandis que le plus haut inclut les impacts des traînées de condensation, qui peuvent évoluer en nuage de glace et perturber le système climatique.

Et cette part est vouée à augmenter. « En 30 ans, la consommation de kérosène des avions a diminué de 70 %, pour des raisons économiques », indique Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile. Mais, dans un « effet rebond », le trafic a été multiplié par 13 et devrait tripler d’ici 2050.

« De tous les modes de transport, l’aérien est le plus difficile à verdir, lance David Rancourt, professeur de génie mécanique à l’Université de Sherbrooke. Une aviation plus propre est possible, mais les difficultés techniques sont très grandes. »

6 %

L’aviation commerciale est responsable de près de 6 % du réchauffement climatique globale. Ce chiffre inclut les émissions de CO2 des avions, celles de la production et de la distribution du kérosène, ainsi que celles des trainées de condensation. Source : Staygrounded

L’avion électrique

Un Montréal-Paris en avion électrique ? Ce ne sera possible ni demain ni dans 20 ans. La recherche se heurte actuellement à des limites comme la capacité et le poids des batteries, qui compromettent l’autonomie des appareils. La production des batteries implique aussi l’extraction de métaux rares, dont les conséquences écologiques, sanitaires et politiques sont avérées.

« L’électrique est réaliste pour de courts vols d’entraînement au pilotage autour de l’aéroport », indique David Rancourt. Les technologies hybrides sont prometteuses, comme des moteurs électriques assistant les turbines traditionnelles. La mobilité aérienne urbaine – des taxis volants autonomes – prend également de l’ampleur, selon Mehran Ebrahimi.

Lisez l’article « Les taxis volants commencent à décoller, les commandes aussi »

« Il faut plus d’investissements dans la recherche liée au remplacement des matériaux rares et au recyclage des batteries en fin de vie », affirme Clothilde Petitjean, directrice des programmes au Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ), ajoutant qu’il faut soutenir toutes les innovations de rupture ayant le plus d’impact, puis réguler pour imposer leur utilisation.

L’hydrogène

Les vols long-courriers à l’hydrogène ne verront pas le jour avant 2045. Ce gaz explosif pose des défis de sécurité, de transport et de stockage, puisqu’il doit être liquéfié à - 253 degrés et prend quatre fois plus d’espace que le kérosène.

Il faut donc développer de nouveaux types d’appareils et d’infrastructures, ce qui requiert de l’énergie. « Si demain, on devait alimenter les avions en hydrogène à l’aéroport de Montréal, il faudrait littéralement créer une centrale nucléaire pour avoir l’énergie nécessaire », illustre David Rancourt.

Airbus planche sur un avion à l’hydrogène d’une autonomie de 1500 km, qui pourrait être mis en service en 2035. L’ONG International Council on Clean Transportation (ICCT) estime que l’hydrogène pourrait contribuer à la décarbonation de l’aviation à hauteur de 6 % à 12 %… en 2050.

Lisez l’étude de l’ICCT

« Il faudra attendre au moins 30 ans pour les avions révolutionnaires, estime Susan Liscouët-Hanke, professeure agrégée de génie aéronautique à l’Université Concordia. D’ici 15 à 20 ans, on verra plutôt des technologies hybrides et des améliorations évolutives. »

Les carburants alternatifs

Les carburants d’aviation « durables » (SAF) existent déjà et peuvent être mélangés au kérosène. Moins émetteurs de GES, certains biocarburants proviennent toutefois de cultures agricoles, monopolisant des terres qui pourraient nourrir les humains. D’autres, jugés plus propres, sont issus d’huiles de cuisson usagées, mais la quantité disponible ne suffira pas à satisfaire la demande croissante.

Les procédés basés sur la captation de CO2 semblent les plus efficaces pour réduire l’impact environnemental. « Il n’y a plus de verrous technologiques avec les SAF, souligne Clothilde Petitjean. C’est aux politiques de garantir une utilisation qui a du sens en fonction des sources d’énergie électrique disponibles et qui n’entre pas en compétition avec des besoins alimentaires. »

1 %

Depuis 2022, les vols au départ de France doivent inclure 1 % de SAF, puis devront passer à 2 % en 2025 et à 5 % en 2030. Les pays scandinaves visent les 30 % d’ici à 2030. Les compagnies aériennes peuvent utiliser jusqu’à 50 % de SAF sur des appareils de dernière génération, mais ces carburants coûtent de trois à cinq fois plus cher que le kérosène.

Prendre moins l’avion

En attendant, la technologie seule ne suffira pas à atteindre l’objectif de carboneutralité du secteur en 2050, ni à respecter les autres échéances. Le trafic aérien devra nécessairement décroître. « Au-delà des incertitudes pesant sur la réalisation des objectifs technologiques du secteur, la vitesse de diffusion des innovations dans la flotte est trop faible au regard de l’urgence climatique », selon The Shift Project.

Lisez le rapport du Shift Project

Seulement 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des GES émis par l’aviation commerciale, et 80 % n’a jamais pris l’avion. « Ceux qui voyagent le plus pourraient réduire leurs déplacements et privilégier le train sur des trajets courts, suggère Jacques Roy, professeur de gestion des transports à HEC Montréal. Taxer le kérosène pourrait aussi encourager la sobriété. »

2 h 30 min

En France, il est désormais interdit de prendre l’avion lorsqu’un trajet de moins de 2 h 30 min est possible en train, sur certaines liaisons.