Prendre l’autobus peut être payant pour les citoyens de Sherbrooke. C’est encore mieux s’ils ajoutent la marche, la course ou le vélo à leurs déplacements professionnels. Un projet pilote d’application de points récompenses, créé par la Société de transport de Sherbrooke (STS), est appelé à s’étendre à toute cette ville de l’Estrie.

La cible ultime est de réduire les gaz à effet de serre (GES) émis par les automobilistes.

Au Québec, aucune société de transport collectif ne s’est aventurée à développer un tel projet. L’application mobile Shergo, mise au point par les experts en mobilité durable Greenplay, est actuellement en rodage auprès de 150 travailleurs sherbrookois. Pour chaque kilomètre parcouru en autobus, à pied ou à vélo, des points sont accumulés. À 1000 points, l’usager a droit à une carte-cadeau de 10 $ à dépenser chez des commerçants locaux.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jonathan Desroches-Pichette, chargé de projet pour le Centre de mobilité durable de Sherbrooke.

Avec son application à la main, Jonathan Desroches-Pichette, chargé de projet pour le Centre de mobilité durable de Sherbrooke, a donné rendez-vous à La Presse à l’arrêt d’autobus du siège social de la STS, au 895, rue Cabana. L’idée est d’emprunter le circuit de l’autobus 15, jusqu’au campus principal de l’Université de Sherbrooke. Puis de revenir au point de départ, avec le circuit 601.

Des bonbons pour les utilisateurs

Un peu à l’image des applications d’activités sportives par GPS, Shergo s’articule à travers différents onglets ludiques. Les utilisateurs obtiennent des badges et montent de niveau. L’un des onglets représente un avatar à l’allure citadine, avec sa casquette, qui gagne en forme physique. Il emmagasine des cœurs pour chaque kilomètre, pour ses calories dépensées.

Son élaboration a obtenu un financement de 300 000 $ provenant de la Ville de Sherbrooke, en partenariat avec la Fédération canadienne des municipalités. Cet argent a également servi à rembourser, en partie, les commerces qui offrent des cartes-cadeaux aux utilisateurs de l’application.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

L’un des onglets représente un avatar à l’allure citadine, avec sa casquette, qui gagne en forme physique. Il emmagasine des cœurs pour chaque kilomètre, pour ses calories dépensées.

À la fin du parcours d’environ 6 kilomètres – le tout en prenant en considération la forme physique du chargé de projet –, le trajet a permis à notre équipe d’obtenir 36 points. Pour l’autobus, 3 g d’équivalent CO2 (GES) sont épargnés par kilomètre, explique-t-on. Pour la marche, la course, le vélo, on parle de 4 g épargnés.

M. Desroches-Pichette ne s’en cache pas, la plateforme est en période d’essai, il y a des lacunes, elle est appelée à s’améliorer. L’un des gros défis consiste à convaincre les commerçants d’embarquer dans le projet en offrant des rabais sur leurs produits, explique-t-il.

L’algorithme serait également plus performant s’il indiquait en temps réel le trajet des autobus. L’application pourrait s’adresser à toute la population, pas juste aux déplacements professionnels. Mais, déjà, ajoute le chargé de projet, d’autres citoyens ont commencé à la télécharger.

« Les possibilités sont grandes. Éventuellement, ce serait bien que l’application s’arrime aux laissez-passer d’autobus. Il faudrait penser à récompenser les retraités qui délaissent la voiture. On pourrait aussi ajouter les déplacements sportifs le week-end. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Différents trajets d’autobus à Sherbrooke

Mobili-T est un organisme à but non lucratif qui accompagne les municipalités, les organisations et les employeurs pour favoriser les déplacements en transport collectif, à pied, à vélo, en covoiturage ou en autopartage. À l’Université de Sherbrooke et au cégep, par exemple, les étudiants et collégiens ont accès gratuitement au service de transports en commun et le personnel a des rabais.

Alexandra Leblanc est coordonnatrice des projets en mobilité durable pour Mobili-T. Elle affirme que les gens du milieu ont hâte de voir les retombées de l’appli.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le but du projet est notamment de fidéliser les utilisateurs du service d’autobus.

J’ai l’impression que ça va leur permettre d’augmenter le nombre de déplacements en autobus, et de potentiellement commencer à fidéliser une certaine clientèle [qui n’était pas encore tout à fait acquise]. Donc, c’est certain que ça pourrait avoir des répercussions positives sur le plan financier pour la STS.

Alexandra Leblanc, coordonnatrice des projets en mobilité durable pour Mobili-T

« J’ai aussi l’impression que ça va permettre de redorer l’image de ce mode de transport avec les cartes-cadeaux », estime-t-elle.

Pas de projet pour Montréal

Dans la région métropolitaine, il n’est pas question de déployer une application autobus récompenses pour le moment. Interrogée, la direction des communications de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) rappelle que des mesures sont en place, comme l’abonnement OPUS+ avec un mois gratuit. La gratuité pour les enfants de 11 ans et moins, des tarifs réduits pour les étudiants et les aînés. Et un système de covoiturage avec incitation financière pour traverser le pont-tunnel, de la Rive-Sud vers Montréal.

Sur une note plus critique, Jean-Philippe Meloche, professeur en urbanisme de l’Université de Montréal, se demande pourquoi une société de transport devrait financer à même les fonds publics une application. Il indique que des outils semblables se développent ailleurs, notamment à Bruxelles, en Belgique. Aux États-Unis, également.

« Ce n’est pas une mauvaise idée, mais j’ai des doutes. Je ne suis pas certain que quelqu’un va délaisser sa voiture parce qu’il y a une application. Les malus fonctionnent mieux que les bonus. Il a été démontré que l’initiative qui donne le plus de possibilités est la tarification au kilomètre. Par exemple, en tarifant certaines zones routières à l’heure de pointe. »

En savoir plus
  • 127 050
    Kilogrammes de GES (équivalent CO2) ont été directement ou indirectement épargnés à Sherbrooke, entre le 23 octobre et le 11 janvier, selon le bilan Shergo effectué par le Centre de mobilité durable de Sherbrooke.
    Source : Ville de Sherbrooke
    13,9
    Pourcentage d’augmentation des émissions de GES au Canada, entre 1990 et 2021 (78 mégatonnes d’éq. CO2).
    Source : gouvernement du Canada