Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Si vous êtes un usager régulier du Réseau express métropolitain (REM), vous avez peut-être ragé en janvier : quatre pannes en quatre jours la semaine dernière, des portes qui n’ouvraient pas, des cailloux qui bloquaient les portes… (Les mêmes maudits petits cailloux qui collent aux semelles de nos bottes et qui ont bloqué les portes des voitures Azur du métro de Montréal en 2018. Bizarre qu’Alstom, constructeur des deux modèles de train, n’ait pas trouvé de solution à ce problème.) Ajoutez à cela un manque flagrant d’information (elle est où, la navette ? à quelle heure le service sera-t-il rétabli ?) et vous avez la recette parfaite pour décourager un résidant de Brossard de se rendre au boulot en REM.

CDPQ Infra a tenté de rectifier le tir cette semaine avec une tournée médiatique absolument pas convaincante. Dommage, mais la série d’incidents a occulté le taux de fiabilité du REM qui frôle les 99 %, ce qui est loin d’être catastrophique, au contraire.

Malheureusement, CDPQ Infra communique tellement mal – ce qui est quand même étonnant vu la taille du service des communications de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – qu’elle a réussi à transformer une bonne nouvelle en fiasco.

C’est très grave. Grave parce que nous sommes à un moment où il faut convaincre les gens de délaisser l’auto et de choisir le transport collectif. Grave aussi parce qu’au Québec, on accuse un retard dans le développement de ce transport collectif.

Or, au lieu d’investir massivement, on demande aux sociétés de transport de faire des coupes dans leur budget. Encore jeudi, la Société de transport de Montréal a annoncé la suppression de 230 postes.

C’est malheureux, mais les ratés de CDPQ Infra rejaillissent négativement sur tout l’écosystème des transports publics. Ils leur font mauvaise presse et donnent des munitions à ceux et celles qui s’opposent à l’augmentation de leur financement.

Une expertise sur la touche

Les déboires du REM de la Caisse – à qui on demande toujours d’étudier le projet de transport collectif pour la Ville de Québec, au secours ! – m’ont amenée à me questionner sur notre capacité, comme société, à planifier intelligemment nos réseaux de transports publics.

En sommes-nous capables ?

J’ai posé la question à deux expertes de la mobilité.

Ironiquement, quand j’ai joint la professeure de Polytechnique Montréal Catherine Morency, elle se dirigeait vers une conférence intitulée « Bye bye, voiture ? ». La titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mobilité des personnes était aussi catastrophée que moi par les récents développements.

Elle est toutefois catégorique : oui, au Québec, on a les compétences et l’expertise en planification des transports. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas intégrées au développement du territoire. « Quand on développe une zone résidentielle, par exemple, on pense tout de suite à l’aqueduc, aux routes, explique-t-elle. Or, on devrait aussi penser aux transports publics. On devrait se questionner sur les besoins en déplacement des gens et faire en sorte que le transport collectif soit la colonne vertébrale d’un futur développement économique (les commerces, les industries…). »

On revient à la raison d’être des transports publics : répondre aux besoins de déplacement des personnes.

« Avec le REM, on a choisi le mode de transport avant de se demander quels étaient les besoins, lance Catherine Morency. Au nom de la rentabilité, on a nié un principe fondamental du transport public : la redondance. Les usagers doivent avoir plus qu’un moyen de transport pour se rendre à destination. »

PHOTO CAROLINE PERRON, FOURNIE PAR CATHERINE MORENCY

Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal

Mais la Caisse a éliminé la concurrence au nom de la rentabilité. Les gens de la Rive-Sud se retrouvent otages du REM. C’est une approche anti-usagers.

Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal

Avant de raccrocher, Catherine Morency me lance une question tellement pertinente que j’en ai fait le titre de cette chronique : « Demande-t-on au réseau routier et aux trottoirs d’être rentables ? Ben non ! On ne se pose pas la question, on les construit. »

Merci, mais non merci

Inclure le transport collectif dans le développement du territoire, c’est aussi le point sur lequel insiste Florence Junca-Adenot quand je lui parle. L’experte en mobilité et ex-présidente de l’Agence métropolitaine de transport (ancêtre de l’ARTM) est catégorique : il y avait sur la table à dessin deux bons projets de transport collectif, très bien planifiés, qui intégraient le développement régional : le tramway de Québec et celui de la Rive-Sud de Montréal (le projet LÉEO qui a même remporté un prix d’excellence).

Ces deux projets seraient sans doute plus avancés si le gouvernement provincial n’avait pas demandé à la Caisse de s’en mêler. Cette semaine, CDPQ Infra confirmait qu’elle n’avait plus de temps pour le projet de la Rive-Sud. Réaction des mairesses de Brossard et de Longueuil : un gros sourire, et ce, même si on a perdu trois ans. Ça en dit long.

Alors on fait quoi maintenant ? Selon Mme Junca-Adenot, le gouvernement Legault devrait faire preuve d’humilité et remettre ces deux projets sur les rails. Il y a des opposants au tramway ? « Normal, il y en a tout le temps », me répond l’experte du tac au tac.

PHOTO PHILIPPE LOPEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La ville française de Bordeaux compte aujourd’hui 79 km de lignes de tramway.

Quand le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a annoncé la construction d’un tramway dans sa ville, il a fait face à une forte opposition. Il a tenu son point, accordé des subventions aux commerces durant les travaux, et quand le tramway a été en opération, tout le monde en a réclamé un dans sa rue.

Florence Junca-Adenot, experte en mobilité

Vingt ans plus tard, Bordeaux compte 79 km de lignes de tramway.

Une agence pour quoi faire

Deux obstacles majeurs ralentissent le développement du transport collectif chez nous : notre attachement maladif à l’auto – je ne sais pas si ça se soignera un jour – et la politique qui ralentit ou fait dérailler d’excellents projets.

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, nous promet la création d’une superagence qui se chargera de mieux planifier le transport collectif. Mais si Québec ne devient pas le champion de la mobilité durable (vous savez, ces deux mots que la ministre a tenu à ajouter au nom de son ministère), cette superagence ne sera qu’une structure supplémentaire sur le millefeuille de structures existantes.

Je peux bien posséder le meilleur robot culinaire au monde, si je ne sais pas faire bouillir de l’eau, et si cuisiner ne m’intéresse pas vraiment, je ne ferai pas de meilleurs gâteaux.

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