Sortir ou pas des énergies fossiles ? Un peu, beaucoup, passionnément ? Avec ou sans captage du carbone ? Les négociations se poursuivent à la COP28 où un nouveau projet d’accord à ce sujet a été soumis vendredi. Chaque mot est âprement débattu et le vocabulaire retenu pourrait passer à l’histoire. Ou pas.

Cinq options sur la table

Un nouveau projet d’accord sectoriel a été soumis vendredi et la sortie des énergies fossiles est toujours au programme. Le texte définitif doit cependant être approuvé par les quelque 200 pays présents à Dubaï. Cinq options sont proposées aux négociateurs, y compris celle de ne faire aucune mention des énergies fossiles.

Option 1 : une sortie des combustibles fossiles conformément aux meilleures données scientifiques disponibles

Option 2 : une sortie des combustibles fossiles conformément aux meilleures données scientifiques disponibles, à l’objectif du GIEC de limiter le réchauffement à 1,5 °C et aux principales dispositions de l’Accord de Paris

Option 3 : une sortie des combustibles fossiles qui n’ont pas de mesures d’atténuation (unabated), reconnaissant la nécessité d’un pic de leur consommation au cours de cette décennie et soulignant l’importance pour le secteur énergétique d’être majoritairement exempt de combustibles fossiles bien avant 2050

Option 4 : une sortie des combustibles fossiles qui n’ont pas de mesures d’atténuation (unabated) et une réduction rapide de leur utilisation afin d’atteindre la neutralité carbone dans les systèmes énergétiques vers le milieu du siècle

Option 5 : aucun texte

« Le choix des mots est super important »

Le débat quant au choix des mots qui se retrouveront dans l’accord définitif n’est pas qu’un exercice de sémantique, il est au cœur des discussions à la COP28. La pression n’aura jamais été si forte pour qu’on parle enfin de l’éléphant dans la pièce : les énergies fossiles. « C’est vraiment un enjeu qui est très important. Le choix des mots est super important », souligne Annie Chaloux, professeure à l’Université de Sherbrooke et spécialiste des négociations internationales sur le climat. « On a la chance d’envoyer un signal fort. Si on a du vocabulaire fort, ça va mettre plus de pression dans le système contre les énergies fossiles », ajoute Hugo Séguin, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

Quatre mots-clés à comprendre

La Presse a interrogé trois experts pour mieux comprendre la signification des mots proposés jusqu’à présent dans les différents projets de texte. Comme ceux-ci sont rédigés dans la langue de Shakespeare, une simple traduction de l’anglais vers le français ne permet pas toujours de saisir toutes les nuances. Voici les définitions proposées par Caroline Brouillette, directrice générale du Réseau action climat Canada, une habituée des négociations internationales sur le climat.

Abated : combustion avec dispositif de réduction (comme le captage et le stockage de carbone)

Phase down : une réduction des énergies fossiles

Phase out : une sortie des énergies fossiles

Unabated : combustion sans dispositif de réduction (comme le captage et le stockage de carbone)

Le diable est dans les détails

Alors qu’elle figurait dans les versions précédentes, l’option de réduire (phase down) les énergies fossiles ne semble plus au programme. On lui a préféré le terme « sortie » (phase out), une demande faite par plusieurs pays. Mais là où les négociations risquent de se corser, c’est quant au choix du mot unabated, qui est aussi au cœur des débats.

Dans une entrevue avec La Presse, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a souligné mercredi qu’une entente est « jouable » si le texte précise que l’abandon concerne les combustibles qui ne sont pas accompagnés de mesures de captage et de stockage de leurs émissions (unabated fossil fuels).

L’agence Reuters a rapporté vendredi que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) demande à ses membres de rejeter toute entente qui ferait mention des énergies fossiles.

« Un écran de fumée » ?

Si la COP28 accouche d’un accord qui prévoit une sortie des énergies fossiles qui ne sont pas compensées, ce sera un « pas en avant », mais aussi « un écran de fumée », signale Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada. Rappelons que l’industrie des énergies fossiles mise beaucoup sur les technologies de captage et de stockage du carbone. Or, dans l’éventualité où celles-ci s’avéreraient efficaces, cela ne concernerait que les émissions issues de l’extraction et du raffinage de combustibles fossiles, sans tenir compte du fait qu’au moins 80 % des émissions surviennent au moment de la combustion.

Un terme loin de faire l’unanimité

« La proposition actuelle de la COP28 visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles sans dispositif d’atténuation est imprégnée de tromperie. Même les meilleures preuves de concept actuelles en matière de captage du carbone ne parviennent pas à atteindre la neutralité carbone et souffrent de fuites massives de CO2 dans l’atmosphère », a affirmé vendredi le climatologue américain Michael Mann sur la plateforme X. « Si le mot unabated figure dans le texte définitif de la COP28, cela détournera l’attention des réductions de combustibles fossiles nécessaires dans cette décennie pour rester en dessous de 1,5 °C », a déclaré Nathalie Jones, conseillère politique à l’Institut international du développement durable (IISD), au site Carbon Brief.

Les trois experts consultés par La Presse sont Annie Chaloux, professeure à l’Université de Sherbrooke et spécialiste des négociations internationales sur le climat, Caroline Brouillette, directrice générale du Réseau action climat Canada, et Hugo Séguin, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal et directeur général de la firme de relations publiques Copticom, spécialisée dans les dossiers environnementaux.