(Dubaï, Émirats arabes unis) L’entrée en scène des ministres dans les négociations climatiques se tenant à la COP28 devrait permettre d’arriver à un accord sur l’élimination graduelle des énergies fossiles, croit Steven Guilbeault.

« Ça va probablement être l’une des dernières décisions [de la conférence] », a toutefois prévenu le ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, jeudi, au cours d’un entretien avec La Presse sur la terrasse située sur le toit de son hôtel dubaïote, en cette traditionnelle journée de pause à mi-chemin de l’évènement.

La première semaine de la COP28 s’est achevée mercredi sans avancée sur cette épineuse question, mais les ministres n’étaient pas encore impliqués dans les discussions à cette étape, souligne Steven Guilbeault.

« Ce n’est pas les négociateurs qui vont régler ça ; ça va se régler au niveau politique », a-t-il déclaré, reconnaissant que les pays qui s’opposent à l’élimination des combustibles fossiles sont encore nombreux.

« Il y en a pas mal », concède le ministre, et pas des moindres : la Chine, l’Inde, la Russie, l’Arabie saoudite ou encore l’Afrique du Sud.

Certains sont des producteurs, tentés de « presser le citron le plus possible », mais d’autres sont simplement inquiets pour leur sécurité énergétique, indique M. Guilbeault.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault

Il y a plusieurs pays pour qui c’est un enjeu important et on ne peut pas simplement rejeter ça du revers de la main.

Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement

Pas un abandon « pur et simple »

Pour en arriver à un accord, il faudra peut-être dire les choses autrement, voire indirectement, suggère Steven Guilbeault. Une entente est « jouable » si le texte précise que l’abandon concerne les combustibles qui ne sont pas accompagnés de mesures de captage et de stockage de leurs émissions (unabated fossil fuels), illustre-t-il.

« L’élimination pure et simple des combustibles fossiles, ça n’arrivera pas, zéro chance », prévient le ministre, rappelant au passage que le Canada ne peut lui-même pas soutenir une telle proposition pour une raison purement constitutionnelle : l’exploitation des ressources naturelles n’étant pas une compétence fédérale exclusive, Ottawa ne peut la limiter.

Le président de la COP28, Sultan Ahmed al-Jaber, pèse de tout son poids pour qu’une entente intervienne, indique Steven Guilbeault, car il « comprend » que le succès de l’évènement en dépend.

On pourrait avoir une super COP et des ententes sur un paquet d’affaires, mais si on ne s’entend pas là-dessus, le verdict risque d’être qu’on a failli à la tâche.

Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement

En revanche, la question du financement des mesures d’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement après 2025 pourrait bien ne pas aboutir à un accord dès cette année, estime le ministre Guilbeault, qui s’attend néanmoins à ce que les discussions avancent.

Lui qui a été à la manœuvre pour amener les pays riches à respecter leur engagement, pris en 2009, de verser à cette fin 100 milliards de dollars (des États-Unis) aux pays en développement entre 2020 et 2025 affirme qu’il faut « mieux faire que la dernière fois ».

Il faudra que le montant soit basé sur les besoins des bénéficiaires, que l’accès aux fonds soit simplifié et que leur provenance soit clarifiée, des éléments qui étaient tous absents dans la précédente entente, rappelle le ministre.

Direction à donner

La COP28 a commencé en trombe, avec dès le premier jour une entente sur la création d’un fonds pour financer les « pertes et préjudices » subis par les pays vulnérables, à laquelle Steven Guilbeault dit qu’il n’aurait pas cru il y a encore trois mois. Mais certains observateurs s’inquiètent du flou qui entoure la suite des choses.

Lisez notre texte « La COP28 démarre en trombe avec un accord »

À la fin de la première semaine, la présidence donne normalement « une idée très claire » de la façon dont vont se dérouler les négociations durant la seconde semaine, en indiquant quels enjeux seront confiés aux ministres et lesquels demeureront dans les négociations techniques, a expliqué Jennifer Allan, conseillère stratégique à l’Institut international du développement durable.

« Mais rien de tout ça n’est arrivé [mercredi] soir », s’est-elle étonnée.

« Au cours des derniers jours, on s’est demandé c’était quoi, la stratégie de la présidence », ajoute Caroline Brouillette, directrice générale de Réseau action climat Canada, soulignant que la phase plus politique des négociations qui s’amorce nécessite que cette présidence joue un rôle plus important.

Elle se montre néanmoins optimiste, estimant que l’équipe de Sultan Ahmed al-Jaber a montré depuis le début de la conférence qu’elle est « une présidence qui est préparée, qui a fait ses devoirs et qui ne laisserait pas la COP échouer, [alors qu’]on est plus près que jamais d’un accord sur la sortie des énergies fossiles ».

Bisbille diplomatique au sujet de la prochaine COP

Une bisbille diplomatique empêche toujours la désignation du pays hôte de la COP29, qui se tiendra en 2024, une anomalie, alors qu’il est déjà déterminé que la COP30 se tiendra à Belém, au Brésil, en 2025. En vertu de la tradition de rotation entre les grands blocs régionaux du monde pour l’accueil de la grand-messe annuelle du climat, la prochaine COP doit avoir lieu en Europe de l’Est, mais la Russie refuse que ce soit dans un pays de l’Union européenne, dans le contexte de la guerre en Ukraine, bloquant ainsi la candidature de la Bulgarie. L’Arménie et l’Azerbaïdjan, en conflit pour le contrôle du Haut-Karabakh, se bloquent mutuellement. La Moldavie a soumis sa candidature, jeudi, et la Serbie envisagerait aussi de le faire, a rapporté l’agence de presse Reuters. À défaut d’une entente sur un pays hôte, la COP29 se tiendra à Bonn, en Allemagne, où se trouve le secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, comme ce fut le cas en 2017 et en 1999 – Bonn a aussi accueilli une exceptionnelle deuxième partie de la COP6, en 2001.

Lisez notre article « Ottawa veut réduire les émissions du tiers »

Précision :
Une version précédente de ce texte attribuait le titre de sultan au président de la COP28. Or, il s’appelle Sultan Ahmed al-Jaber. Nos excuses.

En savoir plus
  • 100 000
    Nombre de participants inscrits à la COP28, bien au-delà des 70 000 attendus
    Organisation des Nations unies (ONU)