La grogne persiste après les déclarations controversées de Sultan Al Jaber, dirigeant d’une société pétrolière et président de la COP28 à Dubaï. Plusieurs scientifiques ont sauté dans l’arène, rappelant l’importance de sortir des énergies fossiles et soulignant au passage que « le système climatique ne fait pas de politique » et « ne joue pas avec les mots ».

Sultan Al Jaber veut un accord sur les énergies fossiles

Au moment où de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer qu’un accord final de la COP28 aborde la question des énergies fossiles, son président Sultan Al Jaber a appelé mercredi les pays à sortir de leur « zone de confort » et à « trouver un terrain d’entente », y compris sur les énergies fossiles, afin d’obtenir un accord final « très ambitieux » d’ici mardi prochain. Alors que certains négociateurs le trouvaient en retrait jusqu’à présent, Sultan Al Jaber a clairement indiqué qu’il entendait désormais activement s’impliquer dans la dernière phase des négociations, donnant rendez-vous vendredi matin pour présenter son plan de bataille.

Un partenaire « intraitable » : le climat

La veille, deux climatologues réputés avaient publié une lettre dans le quotidien belge Le Soir, dans laquelle ils interpellaient directement le président de la COP28. « Cher Sultan Al Jaber, en tant que scientifiques du climat, nous saluons votre engagement à développer à la COP28 un véritable plan pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Nous savons que vous avez rencontré de nombreux partenaires de ce traité au cours de l’année écoulée, et qu’ils sont souvent représentés par des négociateurs acharnés. Nous sommes désolés de devoir vous informer que vous avez devant vous des représentants du partenaire le plus intraitable, celui qui ne vous propose que des lignes rouges et n’a absolument aucune flexibilité. Ce partenaire, c’est le système climatique et il n’obéit qu’aux lois de la nature [la physique, la chimie et la biologie]. »

Lisez le message de Jean-Pascal van Ypersele sur X

De l’importance de sortir des énergies fossiles

PHOTO YVES HERMAN, REUTERS

De la fumée s'échappe d'une cheminée dans une centrale électrique à Drogenbos, en Belgique.

La lettre d’un peu plus de 800 mots était signée par Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et Michael E. Mann, professeur émérite au département des sciences de la Terre et de l’environnement de l’Université de Pennsylvanie. Les deux scientifiques ont rappelé l’importance d’une sortie des énergies fossiles afin « que notre planète reste habitable, sans laisser personne de côté ». « Le système climatique ne fait pas de politique. Il ne joue pas avec les mots. Ce qu’il ressent et ce qu’il comprend, c’est l’émission ou l’absorption réelle de molécules de gaz à effet de serre », ont-ils souligné.

Rappeler des « données scientifiques essentielles »

Dans un échange courriel avec La Presse, Jean-Pascal van Ypersele a mentionné qu’il avait eu l’idée d’écrire cette lettre dès le 12 novembre afin de rappeler à Sultan Al Jaber « quelques données scientifiques essentielles ». « J’en ai discuté avec mon collègue et ami Michael E. Mann, qui a tout de suite accepté de la signer avec moi. […] Lorsque le Guardian a révélé que le président de la COP28 avait dit ce qu’il avait dit à Mary Robinson, nous avons été très choqués, et avons décidé de publier notre lettre sur X/Twitter en anglais, et j’ai alors obtenu du Soir qu’elle soit publiée ce 5 décembre. Le buzz a fait le reste. Je peux vous dire que je sais que le Sultan a eu connaissance personnellement de la lettre », ajoute-t-il.

Un président sur la corde raide

Depuis lundi, Sultan Al Jaber multiplie les déclarations pour rappeler qu’il base ses décisions sur la science et que la sortie des énergies fossiles est inévitable. Des sorties qui font suite à des propos controversés tenus en novembre devant un groupe de femmes de l’ONG She Changes Climate, dont Mary Robinson, ancienne présidente d’Irlande. Le président de la COP28 avait déclaré qu’il n’existerait « aucune science ni aucun scénario qui affirme que la sortie des combustibles fossiles permettrait d’atteindre la cible de 1,5 degré ». Une déclaration qui a provoqué un tollé au sein des organisations représentant la société civile, mais aussi dans la communauté scientifique.

D’autres scientifiques répondent

D’autres experts ont joint leurs voix à celles de Jean-Pascal van Ypersele et de Michael E. Mann. Dans un texte publié mardi sur le site du Club de Rome, un groupe de scientifiques a réagi aux propos controversés de Sultan Al Jaber. « En réponse au débat sur la question de savoir s’il existe effectivement des arguments scientifiques en faveur de l’élimination progressive des énergies fossiles, des climatologues de renommée mondiale ont travaillé 24 heures sur 24 pour parvenir à une déclaration unifiée. Le lien entre la science du climat et l’élimination progressive des combustibles fossiles est sans équivoque », écrivent les six scientifiques, parmi lesquels on retrouve Pierre Friedlingstein, expert de la modélisation des systèmes climatiques, et Johan Rockström, spécialiste des limites planétaires.

Avec l’Agence France-Presse

Lisez la lettre des scientifiques publiée sur le site du Club de Rome (en anglais)

Le prix Fossile du jour à l’Alberta

Le Réseau Action Climat, qui comprend 2000 organisations du monde entier, a décerné mercredi son premier prix Fossile du jour à l’Alberta. La province a obtenu cette distinction satirique après que sa première ministre, Danielle Smith, a participé à plusieurs réunions à la COP28 en compagnie de dirigeants du secteur pétrolier, signale le réseau, ajoutant que ce prix est rarement décerné à des gouvernements non nationaux.

La Presse Canadienne