(Québec) Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, veut que les Québécois se tournent vers la sobriété énergétique, et Hydro-Québec a une solution : elle lui propose de changer la loi pour lui permettre de subventionner davantage des technologies économes comme les thermopompes et la géothermie, ce qui est impossible en ce moment en raison de règles de rentabilité trop strictes.

Le gouvernement Legault a fait valoir son intention de déposer en 2023 un projet de loi « costaud » sur la sobriété énergétique. L’objectif du nouveau ministre de l’Énergie : s’attaquer à un potentiel d’économie d’énergie évaluée par Hydro-Québec à près de 24,5 TWh, équivalant à près de trois fois le complexe de la Romaine. Il s’agit, à « court terme », de sa principale « source d’énergie renouvelable » pour combler les besoins du Québec en 2050, qu’il évalue à 100 TWh.

La société d’État a son propre objectif, fixé à 8,2 TWh d’ici 2029, mais elle devra économiser beaucoup plus pour répondre aux attentes de M. Fitzgibbon, et mise sur la carotte pour y parvenir. Elle souhaite notamment bonifier ses programmes de subvention pour permettre aux consommateurs d’économiser de l’énergie, par l’entremise de thermopompes, de la géothermie ou d’accumulateurs de chaleur, qui permettent de réduire la demande d’électricité lors des pointes de consommation.

« Plus d’efficacité énergétique »

Mais pour y arriver, il faudrait faire sauter le verrou de la Régie de l’énergie, qui analyse ces programmes d’un strict point de vue « économique », plaide la société d’État, qui souhaite que la notion de « transition énergétique » soit ajoutée dans le calcul. Il faudrait plutôt comparer ces initiatives au coût de construction d’éoliennes ou de nouveaux barrages, avec les frais de transport d’électricité qu’elles engendrent, plaide-t-on.

« On aurait une marge de manœuvre pour donner un plus grand appui financier, atteindre un potentiel plus grand que ce qu’on avait en tête. Si on arrivait à une situation qui donne une plus grande latitude pour être plus agressif dans les appuis financiers, ça pourrait se traduire par plus d’efficacité énergétique », note Frédérik Aucoin, chef, développement des marchés et expertise énergétiques, chez Hydro-Québec.

Par exemple, un système d’accumulateur thermique coûte près de 17 000 $ à installer, mais Hydro-Québec donne un appui financier de 10 000 $, explique-t-il.

En donnant encore un peu plus d’argent, elle pourrait convaincre plus de gens d’adopter cette technologie.

Dans les secteurs résidentiels, commerciaux et institutionnels, le potentiel d’économie est de 6,8 TWh pour le chauffage seulement, selon une étude de Technosim commandée par Hydro-Québec en 2021.

Une hausse de tarif aiderait

Selon l’expert Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie et professeur à HEC Montréal, la carotte ne suffira cependant pas. « Oui, il faut que la Régie prenne en compte les objectifs de la transition, mais il faut aussi sortir de l’idée que des subventions sont toujours nécessaires », lance-t-il en entrevue. M. Pineau applaudit la volonté du ministre Fitzgibbon d’en faire davantage pour économiser notre électricité. « On peut faire beaucoup mieux, et on sait que ça nous enrichirait », a-t-il dit.

Dans son État de l’énergie, il montre que les Québécois sont plus gourmands que les Suédois et les Norvégiens.

Mais M. Pineau estime que la tarification actuelle de l’électricité est trop douce pour permettre des changements de comportements. Moins l’électricité est chère, moins il est rentable d’investir dans des technologies coûteuses comme la géothermie.

La première étape, selon lui : mettre fin à « l’interfinancement », une mesure qui fait qu’en ce moment, les consommateurs commerciaux et industriels du Québec subventionnent en partie l’électricité des consommateurs résidentiels. Cela provoquerait chez ces derniers une hausse des tarifs de 10 à 15 %, qui pourrait être étalée sur quelques années. « Ce n’est pas vrai que la majorité des Québécois ont besoin d’être subventionnés pour leur consommation. Si on veut protéger les 40 % les plus pauvres, on peut leur donner des chèques », laisse-t-il tomber.

Un véritable débat

Mais avant de modifier les tarifs d’électricité et les subventions que peut donner ou non Hydro-Québec, les associations de défense des consommateurs veulent un véritable débat. Jocelyn B. Allard, président de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité, milite en faveur de la fin de l’interfinancement et s’oppose à la proposition d’Hydro-Québec.

Selon lui, ce n’est pas aux clients de subventionner à même leur facture d’électricité d’autres clients qui se paient une thermopompe neuve. Si Québec, pour atteindre des objectifs climatiques, veut faire ces choix, qu’il les subventionne avec l’argent des contribuables, indique-t-il. Quant à l’effort qui sera demandé aux industriels — les études commandées par Hydro-Québec montrent que les grandes industries pourraient économiser 9,5 TWh, contre 5,6 TWh pour l’ensemble des clients résidentiels au Québec —, Jocelyn B. Allard affirme qu’il faudra l’aide du gouvernement.

« Changer les ampoules, calfeutrer les fenêtres, ça a été fait par les grandes entreprises. Quand c’était facile et relativement accessible, ça a été fait. Là, on touche au procédé industriel et on a besoin de soutien », a-t-il dit.

Du côté d’Option consommateurs, qui suit attentivement la question du prix de l’énergie, Sylvie De Bellefeuille, avocate et conseillère budgétaire de l’organisme, émet des doutes. « Il ne faudrait pas que les tarifs d’électricité deviennent une taxe indirecte et régressive, parce que tout le monde n’a pas les moyens de payer pour l’électricité. »

Comparaison de la consommation énergétique par habitant du Québec avec celle d’autres pays, 2019

  • Québec : 225 GJ
  • Norvège : 161 GJ
  • Suède : 132 GJ
  • Allemagne : 112 GJ

Source : État de l’énergie au Québec 2022, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal