L’humanité doit consommer moins d’énergie et de ressources pour freiner les crises du climat et de la biodiversité. Et elle peut y parvenir sans sacrifier son confort. Des changements systémiques majeurs sont toutefois requis. Tour d’horizon.

Loin de l’âge de pierre

La sobriété énergétique n’implique pas un retour à l’âge de pierre. Les douches chaudes, les téléphones portables et les voyages existeraient encore dans un monde carboneutre, a calculé une équipe de chercheurs, dont Julia Steinberger, professeure à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, en Suisse, et autrice principale du rapport du 3e groupe de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

« Si la sobriété, c’est retourner vivre dans une caverne, alors c’est une caverne chauffée ou climatisée à 20 degrés en permanence, où chaque personne dispose de 15 m⁠2 », a-t-elle illustré lors d’une visioconférence présentée à Montréal en marge de la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) – la chercheuse ne prend plus l’avion pour des déplacements professionnels.

Pas de sacrifices, sauf pour les ultrariches

Dans un mode de vie sobre, il resterait des voitures individuelles dans les campagnes, où il serait possible de rouler jusqu’à 15 000 kilomètres par année, par personne, « ce qui n’est pas rien », dit Julia Steinberger. En revanche, il y aurait moins de voitures dans les zones urbaines, et davantage de transports collectifs. Chaque personne aurait un téléphone portable avec « beaucoup de données » et pourrait se procurer un maximum de quatre kilogrammes de vêtements neufs par année. Chaque ménage aurait un lave-vaisselle, un réfrigérateur, un congélateur et un appareil de cuisson. Pour beaucoup de gens sur la planète, ce serait une amélioration du niveau de vie, note la chercheuse. Inversement, « c’est clair que ça demande beaucoup de sacrifices aux milliardaires », ironise-t-elle.

Moins d’énergie requise

Il serait possible d’avoir un niveau d’énergie permettant un haut niveau de développement partout dans le monde avec seulement 40 % de la consommation mondiale actuelle d’énergie, démontrent les calculs des chercheurs. De plus de 400 exajoules à l’heure actuelle, l’humanité pourrait ainsi réduire sa consommation d’« énergie finale » à 150 exajoules, explique Julia Steinberger.

Cela passe évidemment par une meilleure efficacité énergétique et l’abandon des énergies fossiles, qui sont « presque comiquement inefficaces », explique-t-elle.

« La plupart des filières des énergies fossiles perdent plus des deux tiers de l’énergie primaire avant d’arriver à des services énergétiques », illustre la chercheuse. Les secteurs des transports et des bâtiments sont les plus inefficaces.

Changements systémiques

La sobriété énergétique n’est pas qu’une affaire de gestes individuels. Chacun peut certes faire de petits gestes, comme le propose le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon, qui voit lui aussi la sobriété comme une solution, mais des changements systémiques s’imposent, insiste Julia Steinberger.

« Certaines industries ou certains secteurs de l’économie, qui ont très peu de scrupules ou de considération pour la durabilité, ont fait en sorte que les réglementations poussent à la surconsommation de leurs produits », dit-elle, appelant le milieu politique à s’emparer du problème. La « dépendance à la croissance économique est un mécanisme qui pousse nos industries dans cette voie », déplore-t-elle. Julia Steinberger cite en outre la planification urbaine, qui à certains endroits « pousse les personnes dans la dépendance à la voiture ».

Investissements importants requis

Adopter un mode de vie sobre nécessite des investissements considérables, prévient Julia Steinberger. Et il faut les faire rapidement, ce qui est à la fois « génial et frustrant », dit-elle. « C’est comme pour les énergies renouvelables : il faut payer maintenant pour mettre des panneaux solaires qui vont durer pendant 30 ans, avec très peu de maintenance pendant leur durée de vie », illustre-t-elle.

« Ça coûte cher, mais ensuite on en bénéficie dans les années à venir », ajoute la chercheuse, qui souligne que la sobriété énergétique apporte aussi des bénéfices en matière de biodiversité, en réduisant la consommation de ressources et le changement d’usage des terres. La transition vers un régime alimentaire davantage axé sur les protéines végétales plutôt qu’animales aura ainsi des bénéfices, tant pour le climat que pour la biodiversité, illustre-t-elle.