Les Innus de Pessamit somment les gouvernements fédéral et québécois de mettre en place des mesures de protection du caribou forestier d’ici le début de septembre, sans quoi ils s’adresseront aux tribunaux.

La Première Nation située sur la Côte-Nord a fait parvenir des mises en demeure en ce sens, par huissier, aux deux ordres de gouvernement, cette semaine.

Le Conseil de bande de Pessamit accentue ainsi la pression sur Ottawa, qui étudie depuis de nombreux mois la possibilité d’intervenir par décret pour imposer des mesures que Québec tarde à mettre en place.

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« Compte tenu de l’urgence de la situation et de l’insuffisance des actes posés à ce jour, le Conseil demande au gouvernement du Canada, par les présentes, de mettre en place des mesures concrètes et expéditives en guise de protection de l’espèce et de l’habitat du caribou », indique la mise en demeure adressée à Ottawa, dont La Presse a obtenu copie.

La lettre de six pages, qui a été signifiée en début de semaine au ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, s’adresse aussi aux ministres des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, et des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller.

Elle leur donne 20 jours ouvrables pour agir, ce qui place la date-butoir autour du 8 septembre, en pleine campagne électorale québécoise.

Une lettre similaire a également été envoyée au gouvernement Legault pour le sommer d’agir, comme le Conseil des Innus de Pessamit avait menacé de le faire, en mai.

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Stratégie éprouvée

Dans leur lettre à Ottawa, les Innus de Pessamit réclament l’adoption d’un décret en vertu de la Loi sur les espèces en péril, une stratégie qui a été couronnée de succès dans d’autres dossiers par le passé.

Le ministre Steven Guilbeault avait notamment adopté en novembre dernier un décret d’urgence pour protéger la rainette faux-grillon, à Longueuil, après que deux organisations de défense de l’environnement eurent entrepris des démarches juridiques pour l’y contraindre.

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« Chaque fois que quelqu’un est allé demander devant les tribunaux un arrêté d’urgence [pour la protection d’espèces en péril], ça a fonctionné », a confié à La Presse une source au gouvernement fédéral qui n’était pas autorisé à parler publiquement du dossier.

Ottawa est ainsi amené à mettre à exécution à brève échéance ses menaces d’intervention, explique cette source.

« On n’aura pas le choix, [sinon] on va se faire dire par les tribunaux de [le faire] », dit-elle.

Exaspération

La démarche des Innus de Pessamit traduit l’exaspération de la communauté, qui voit le caribou s’éteindre, a déclaré à La Presse Jérôme Bacon Saint-Onge, vice-chef sortant – des élections auront lieu le 17 août pour renouveler le Conseil de bande.

« On est à bout, dit-il. Encore récemment, on se demandait : “Qu’est-ce qu’il va falloir faire pour les faire bouger ?” »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Jérôme Bacon Saint-Onge, vice-chef sortant de Pessamit

Il espère que les mises en demeure porteront leurs fruits et qu’il ne sera pas nécessaire de saisir les tribunaux pour assurer la protection d’Atiku, « caribou » en langue innue, qui revêt une grande importance dans la culture innue.

La voie juridique est tout le temps évitable.

Jérôme Bacon Saint-Onge, vice-chef sortant du Conseil des Innus de Pessamit

La mise en demeure des Innus de Pessamit à Ottawa souligne d’ailleurs à grands traits la responsabilité des gouvernements à respecter les droits ancestraux des peuples autochtones, qui incluent leurs pratiques et coutumes.

« Ne pas protéger le caribou est présenté comme une contravention des gouvernements à leurs obligations constitutionnelles », observe Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP) du Québec, qui y voit une « approche stratégique ».

La SNAP accompagne les Innus de Pessamit dans leur projet d’aire protégée qui vise à empêcher la disparition de la harde de caribous du Pipmuacan.

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Le consensus scientifique est clair sur les mesures à prendre pour protéger le caribou, rappelle Alain Branchaud.

« Le ministre de l’Environnement du Canada a toutes les informations en main pour prendre une décision et recommander au gouverneur en conseil de prendre un décret », dit-il.

La loi fédérale exige qu’Ottawa prenne les mesures nécessaires pour protéger les espèces menacées si les provinces ne remplissent pas leurs obligations à cet égard, a déclaré à La Presse Kaitlin Power, l’attachée de presse du ministre Guilbeault.

« La porte demeure ouverte à la négociation si Québec souhaite véritablement travailler à la réhabilitation et la protection du caribou », a-t-elle ajouté.

Le cabinet du ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, a indiqué à La Presse qu’il ne ferait pas de commentaire, jeudi soir.

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    Estimation de la population de caribou forestier au Québec
    SOURCE : COMMISSION INDÉPENDANTE SUR LES CARIBOUS FORESTIERS ET MONTAGNARDS