Ottawa mettra sa menace à exécution et imposera des mesures de protection du caribou au Québec, apprend-on au moment où s’amorcent les travaux de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, mise sur pied par le gouvernement Legault.

Faute de recevoir « d’ici le 20 avril » des informations sur la mise en place par Québec de nouvelles mesures pour assurer la protection du caribou et de son habitat, le gouvernement fédéral prévoit en imposer par décret.

C’est ce qu’a indiqué le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, dans une lettre au ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, datée du 8 avril, que La Presse a obtenue.

« Des engagements fermes de la part du Québec à l’égard de mesures immédiates de rétablissement et de protection représenteraient une étape positive importante », écrit-il.

En soulignant son obligation d’agir s’il est d’avis que les lois provinciales ne protègent pas efficacement une espèce menacée, le ministre Guilbeault fait référence à la disposition de « filet de sécurité » contenue dans la Loi sur les espèces en péril.

« C’est une grosse nouvelle », affirme le directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP), section Québec, Alain Branchaud, qui souligne que « cet outil-là, qui est au cœur de la Loi sur les espèces en péril, n’a jamais, jamais été utilisé » à ce jour.

Contrairement au décret d’urgence, comme ceux adoptés par Ottawa pour protéger la rainette faux-grillon de l’Ouest à Longueuil et à La Prairie, cette approche ne se justifie pas par une menace imminente, explique le biologiste, qui a acquis une connaissance approfondie de la loi lorsqu’il travaillait au ministère fédéral de l’Environnement.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs, section Québec, en 2016

La question est : est-ce que l’habitat essentiel qui a été désigné fait l’objet de mesures de protection qui soient efficaces ?

Alain Branchaud, directeur général de la SNAP, section Québec

Protéger 35 000 km⁠2

Ottawa pourrait donc interdire toute activité susceptible de nuire au rétablissement du caribou boréal (appelé caribou forestier par Québec), notamment les coupes forestières.

« Minimalement, c’est environ 35 000 km⁠2 qui seraient ciblés », estime Alain Branchaud, qui se base sur les secteurs prioritaires à protéger ciblés par l’équipe de rétablissement du caribou forestier du ministère québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).

« Il y a une vingtaine de zones qui sont connues », dit-il, dont trois grandes aires protégées proposées et une quinzaine de territoires plus petits pour faire des « noyaux de conservation ».

Dans le lot se trouvent les derniers massifs forestiers intacts abritant la harde de caribous du Pipmuacan, qui est sous forte pression, et que le MFFP propose d’abandonner à son sort dans l’un des scénarios déposés à la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards.

Lisez l’article « Caribous du Pipmuacan : les prochains à disparaître ? »

Une telle intervention d’Ottawa risque fort de provoquer l’ire de l’industrie forestière, mais Alain Branchaud croit qu’il est possible de faire les choses « intelligemment, pour que les impacts socioéconomiques soient limités ».

Québec pourrait même en profiter pour progresser vers son objectif de protéger 30 % de son territoire d’ici 2030, dit-il, soulignant que 35 000 km⁠2 représentent 2,3 % de la superficie de la province.

Un « énorme précédent »

L’intervention imminente d’Ottawa pourrait avoir des répercussions dans d’autres provinces, croit Marco Festa-Bianchet, directeur du département de biologie de l’Université de Sherbrooke, qui a siégé une dizaine d’années au Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.

Le caribou boréal est en danger ou menacé du Labrador au Yukon, [et] la plupart des gouvernements au Canada font de leur mieux pour ne pas protéger son habitat.

Marco Festa-Bianchet, directeur du département de biologie de l’Université de Sherbrooke

L’intervention d’Ottawa crée aussi un « énorme précédent » dont pourraient bénéficier d’autres espèces, ajoute Alain Branchaud.

« Il y a plusieurs centaines d’espèces menacées ou en voie de disparition dont l’habitat essentiel a été désigné », explique-t-il.

Ottawa doit cependant d’abord démontrer que les mesures provinciales de protection sont insuffisantes et qu’il a tenté de collaborer avec les gouvernements en place pour corriger la situation, explique l’ancien fonctionnaire.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Petit troupeau de caribous du Pipmuacan

Dans le cas du caribou, le gouvernement fédéral a commencé à documenter les lacunes québécoises en 2018 et a exhorté Québec à protéger rapidement et concrètement les espèces en péril sur son territoire, dans une première lettre, en janvier dernier.

Lisez l’article « Protection du caribou : “le temps presse” »

Le ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, n’a pas commenté la nouvelle missive de son homologue Steven Guilbeault.

« Le ministre compte répondre directement par écrit à son vis-à-vis dans les prochains jours, sans intermédiaire », a répondu à La Presse son directeur des communications, Michel Vincent.

Début de la Commission sur les caribous

L’annonce d’une intervention imminente d’Ottawa pour protéger le caribou au Québec survient au moment où commence la commission mise sur pied par le gouvernement Legault pour évaluer les coûts et les impacts d’une telle protection. La Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards amorce ce mardi à Sainte-Anne-des-Monts sa tournée des régions où l’on trouve encore ces grands cervidés, un itinéraire qui évite les grands centres, déplorent experts et groupes de défense de l’environnement. L’exercice vise surtout à « détourner l’attention » des causes déjà connues et documentées du déclin du caribou, estime Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs, section Québec.

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    Estimation de la population de caribou forestier au Québec
    SOURCE : COMMISSION INDÉPENDANTE SUR LES CARIBOUS FORESTIERS ET MONTAGNARDS