Les boîtes de prêt-à-cuisiner livrées à domicile sont devenues en quelques années un marché de 150 millions au Canada. La formule est séduisante, mais génère une énorme quantité d’emballages. Notre journaliste a commandé trois repas par semaine pour sa famille pendant un mois, auprès des quatre entreprises les plus populaires au Québec. Après 12 soupers, elle croulait sous le carton et le plastique. Et la majorité de ces emballages, contrairement à ce qu’on fait valoir aux consommateurs, ne pourront jamais être recyclés. Une enquête de Katia Gagnon et de Martin Tremblay.

Douze repas, 164 emballages

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La pile de boîtes s’élève dangereusement haut dans un coin de ma chambre à coucher. Légèrement penchée, telle la tour de Pise, elle menace à tout moment de s’effondrer. Après chaque repas, mes enfants me regardent avec stupéfaction laver et conserver religieusement tous les emballages issus des boîtes de prêt-à-cuisiner que nous consommons depuis un mois.

Alors, je lave. Des sacs, gros, petits, moyens ; du minuscule sachet ayant contenu des épices ou quelques brins de thym frais aux cinq emballages qui emprisonnaient individuellement chaque filet de truite, en passant par le sac coloré qui contenait une dizaine de tomates cerises et toute la collection de mini-pots de crème sure ou de petites bouteilles ayant contenu quelques cuillerées à soupe de vinaigre de vin. Sans parler des grosses boîtes de carton doublées d’aluminium et des sacs de matière congelée qui faisaient office de blocs réfrigérants.

Après un mois, j’en suis arrivée à un décompte précis : pour 12 repas, j’ai reçu 164 emballages différents, en plus de 12 fiches-repas et quelques feuillets d’information.

Faites le calcul : c’est près de 14 emballages différents par repas.

Et si on compare à un souper acheté à l’épicerie, qu’est-ce que ça donne ? J’ai fait le même exercice chez moi pendant une semaine. Trois repas, un total de douze emballages. La consommation des prêts-à-cuisiner a donc triplé le nombre d’emballages que j’ai dû envoyer en bonne partie… à la poubelle.

Recyclables, vraiment ?

Car contrairement à ce qu’affirment les entreprises dans leurs arguments de vente, la plupart des articles reçus dans une boîte ne pourront pas être recyclés dans les centres de tri de la grande région de Montréal. « Je suis tellement tanné d’entendre que telle ou telle chose est recyclable. Tout est recyclable. En théorie », s’exclame Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), à qui nous avons soumis plusieurs articles récoltés durant ces quatre semaines.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, et sa collègue Claire Warmels

Dans la réalité, nous dit M. Ménard, ces contenants sont souvent tellement petits qu’ils se retrouveront dans la pile des « rejets » dans les centres de tri… qui finit au dépotoir. La quasi-totalité des sacs et des plastiques mous – et ils sont légion dans les boîtes-repas – ne sont carrément pas acceptés dans plusieurs centres de tri de la région montréalaise (voir autre texte).

De ces 164 emballages récoltés en un mois, seule une minorité, comme les boîtes de conserve ou les boîtes en carton – en excluant les parties recouvertes d’aluminium –, sera bel et bien recyclée dans les centres de tri. 

« Un sac souillé avec du jus de viande, un petit sachet d’épices… soyons sérieux, ça finit aux poubelles ! », s’exclame Sylvain Allard, professeur en design à l’UQAM, qui s’intéresse depuis longtemps à la question de l’emballage.

L’an dernier, Sylvain Allard a publié sur YouTube une vidéo filmant une opération de déballage d’une boîte qui contenait deux repas, et montre l’ampleur des emballages reçus.

Et tout ça sans compter les emballages des grossistes qui vont livrer chez Goodfood, Miss Fresh et autres. « J’aimerais penser que Goodfood reçoit ses haricots en vrac dans des paniers de paille qu’ils remettent aux producteurs. Mais je ne pense pas que c’est ça qui se passe », dit-il.

Pour lui, les entreprises de prêt-à-cuisiner souffrent de ce qu’il appelle le syndrome Nespresso.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Sylvain Allard

On a inventé un problème pour créer une solution.

Sylvain Allard, professeur en design à l’UQAM

« Avec ces boîtes, poursuit-il, tu épargnes quoi, comme temps, exactement ? Tu dois tout de même aller à l’épicerie pour les autres repas. Et tu cuisines quand même… » À noter que ces entreprises offrent aussi un service de livraison avec des ingrédients précoupés, ce qui peut tout de même faire gagner du temps.

« Je peux comprendre que dans la vie de tous les jours, on cherche des solutions pour manger des produits de qualité. Je ne veux pas culpabiliser les gens, mais sur le plan environnemental, tout ça, c’est une hérésie, un non-sens. Recycler, c’est bien, mais réduire, c’est encore mieux », renchérit Karel Ménard.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Ève Prevost, fondatrice et présidente de Miss Fresh

« Le recyclage, au Québec, c’est extrêmement complexe, rétorque Marie-Ève Prevost, présidente de Miss Fresh. Nos fournisseurs nous disent que leurs contenants sont recyclables. Sont-ils recyclés ? On n’est pas où on devrait être au Québec en matière de recyclage, c’est certain. Mais on ne peut pas être tenus responsables de cela. »

Plus écologiques que l’épicerie ?

Judith Fetzer, présidente de Cook it, une des grandes entreprises canadiennes de prêt-à-cuisiner, se défend d’aller à contre-courant des idées vertes. « Nos clients ont besoin d’aide dans la planification des repas. Autrement, ils auraient tendance à faire des achats impulsifs, à gaspiller, à commander. » Et contrairement aux apparences, le prêt-à-cuisiner est en réalité plus écologique que les multiples voyages à l’épicerie, fait-elle valoir.

Toutes les entreprises de prêt-à-cuisiner mettent de l’avant les résultats de cette étude de l’Université du Michigan, qui a considéré l’ensemble de l’empreinte écologique des divers produits assemblés pour cuisiner cinq recettes. La chercheuse Shelie Miller en est arrivée à la conclusion qu’un repas acheté à l’épicerie produit 33 % plus de gaz à effet de serre. En bonne partie à cause du gaspillage alimentaire à toutes les étapes de la chaîne de production, des invendus en épicerie jusqu’aux produits qui moisissent dans le fond du frigo du consommateur. Pas moins de 35 millions de tonnes de nourriture se retrouvent effectivement à la poubelle, chaque année, au Canada.

Et les boîtes-repas, plaident les entreprises de prêt-à-cuisiner, réduisent considérablement ce gaspillage. Les aliments arrivent en portions exactes chez le consommateur et l’entreprise commande précisément les quantités nécessaires à la confection des boîtes chez les grossistes. Très peu de produits alimentaires finissent donc à la poubelle.

Sauf que d’autres études disent… exactement le contraire. Des chercheurs de l’Université d’Austin, au Texas, ont eux aussi comparé l’énergie nécessaire à la préparation d’un même repas, acheté en prêt-à-cuisiner ou acheté à l’épicerie. Là encore, le prêt-à-cuisiner est gagnant… sauf lorsqu’on ajoute la composante emballage. L’énergie associée à la production de ces emballages dans les boîtes surpasse donc les bénéfices de la réduction du gaspillage, ont établi les chercheurs. Ils ont estimé qu’il faudrait réduire d’au moins 20 % la quantité d’emballages pour que le prêt-à-cuisiner redevienne une bonne affaire sur le plan écologique.

Qui a raison ? Difficile à dire. Chose certaine, l’enjeu de l’emballage préoccupe ces entreprises. « On travaille fort sur la question des emballages. Nous avons réduit le volume de nos boîtes de 15 % depuis un an, notamment en réduisant l’usage du plastique à usage unique pour emballer des articles qui n’ont pas besoin de protection », souligne Jonathan Motha-Pollock, porte-parole de Hello Fresh.

« Chez Cook it, on ne s’est pas mis la tête dans le sable. On a agi. On est passés aux sacs entièrement compostables pour les laitues », nomme comme exemple Mme Fetzer.

On a cessé d’imprimer sur nos sacs plastique puisque c’était un frein au recyclage dans certains centres de tri. Et on offre, depuis l’an dernier, un kit entièrement réutilisable.

Judith Fetzer, présidente de Cook it

Ce kit réutilisable, offert dans trois quartiers de la métropole, demeure cependant peu populaire. Dans les faits, seuls 125 clients sur 11 000 le reçoivent. « Les gens ont peur que ça soit plus compliqué. Or, ça ne l’est pas du tout ! C’est super simple », dit-elle.

De son côté, Goodfood offre à ses clients de reprendre les boîtes en carton usagées et les achemine elle-même chez Cascades pour s’assurer qu’elles soient recyclées. « On refait d’autres boîtes avec le carton recyclé », précise Philippe Adam, chef de la direction financière chez Goodfood. L’entreprise compte réduire de moitié son utilisation du plastique. Un demi-million a récemment été réservé aux initiatives environnementales dans l’entreprise. Des annonces concrètes, qui amélioreront le bilan vert de l’entreprise, seront faites dans les prochaines semaines, promet M. Adam.

Chez Miss Fresh, on a plutôt opté pour la distribution dans des caisses réutilisables, avec des blocs réfrigérés également réutilisables, dans les succursales de Metro ou de Jean Coutu. « C’est une économie importante sur l’emballage. C’est très populaire. Les clients adorent », dit Marie-Ève Prevost, présidente de Miss Fresh. Environ un client sur cinq se prévaut de la cueillette en magasin.

« Il y a un travail à faire pour faire connaître ce service. »

Une popularité grandissante

13 % des Canadiens ont déjà essayé les boîtes de prêt-à-cuisiner

42 % seraient intéressés à le faire

Goodfood est le numéro un canadien des boîtes repas avec 200 000 clients à travers le pays. On leur distribue deux millions de repas par mois.

8 millions : Nombre de repas distribués chaque mois aux États-Unis par le géant Blue Apron

43 : Nombre moyen d’ingrédients différents dans une boîte-repas

Sources : Sondage pancanadien de la firme NPD, Bloomberg et Cook it

Notre démarche

Au cours des mois d’août et de septembre, nous avons commandé trois repas pour une famille de quatre (ou cinq, lorsque c’était possible) chez Goodfood, Miss Fresh, Hello Fresh et Cook It. Nous avons utilisé les services de chaque entreprise pendant une semaine. Nous avons récolté, compté, puis photographié tous les emballages, du plus petit au plus grand. Par la suite, à titre de comparaison, nous avons récolté et compté tous les emballages de trois repas achetés à l’épicerie pour la même famille.

Recyclables… mais pas recyclés

L’affirmation des entreprises : tout ce qui se trouve dans votre boîte-repas est recyclable. La réalité, c’est que de nombreux articles finiront au dépotoir après avoir transité par le centre de tri, conclut Karel Ménard, du Front québécois pour une gestion écologique des déchets. Voici quelques exemples.

Panneau de carton doublé d’aluminium

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les boîtes en partie doublées d’aluminium


Certaines entreprises reprennent les boîtes en partie doublées d’aluminium pour conserver la nourriture fraîche, mais la plupart conseillent de les recycler. « Pour que ça soit recyclé, il faudrait séparer le carton de l’aluminium. Au centre de tri, ça va être placé dans un ballot de papier et classé comme rejet chez le recycleur de papier. »

Bloc réfrigérant

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les blocs réfrigérants


Les entreprises de prêt-à-cuisiner disent au consommateur de vider le sac de plastique de son contenu, puis de le mettre au bac de recyclage. « C’est du plastique mou. Il y a très peu de recycleurs pour ce type de matières au Québec. C’est très difficile à écouler sur le marché. Au centre de tri, ça peut même bloquer les convoyeurs. En général, ils n’en veulent pas. »

Petit pot de crème sure, de mayonnaise, mini-bouteille de vinaigre

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Des petits pots

« Ils ne font pas de magie, les centres de tri. Les contenants qui font moins de deux pouces, ça passe entre toutes les mailles du filet. Généralement, ça se retrouve dans le verre. Et le verre est broyé pour être transformé comme matière de remplissage dans les dépotoirs. »

Tetra Pak de tomates

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Tetra Pak de tomates


« C’est un contenant multi-matières. C’est envoyé en Asie, probablement en Corée du Sud, ou alors classé dans les rejets et envoyé aux dépotoirs. C’est assez nébuleux, ce qu’il advient de ce type de contenants, puisqu’il y a seulement deux usines qui peuvent les recycler aux États-Unis et aucune au Canada. »

Sachet d’épices

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Des sachets d’épices


« Ça s’en va au rejet. Que voulez-vous qu’on fasse de ça ? Moi, j’aurais mis ça directement aux poubelles. »

Sac de tomates cerises

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Des sacs de tomates cerises


« On ne sait même pas en quel plastique c’est fait. Au mieux, ça va se retrouver dans des plastiques mélangés. Pour quelques tomates, on produit un sac qui va rester des centaines d’années dans l’environnement… l’impact est beaucoup trop grand. »

La machine derrière la boîte

Préparer et livrer quelque 5000 boîtes-repas chaque semaine représente « un casse-tête logistique incroyable », affirme la présidente de Cook it, Judith Fetzer. La Presse a visité les locaux de l’entreprise. 

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

En 2014, Cook it a été la première entreprise à se lancer dans le prêt-à-cuisiner au Québec. Cinq ans plus tard, avec un chiffre d’affaires de 15 millions, Cook it est devenu le deuxième acteur dans le marché québécois, devancé par son concurrent, le géant canadien Goodfood. L’entreprise distribue 5000 boîtes chaque semaine, au Québec et en Ontario. « C’est un casse-tête logistique incroyable », dit Judith Fetzer, présidente de Cook it.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Chaque semaine, l’entreprise commande auprès de ses fournisseurs les aliments qui entreront dans la préparation des boîtes-repas. « C’est notre grande force : on achète seulement le nécessaire. On a seulement 1 à 2 % d’aliments qu’on ne peut pas insérer dans les boîtes et on le redistribue aux banques alimentaires ou aux employés », souligne Alexandre Caron, directeur des opérations.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Si un produit n’est pas offert sur le marché, on ne l’utilise pas. Alors que les épiceries achètent leurs champs de tomates deux ans à l’avance », illustre Judith Fetzer. Sur la photo, les employés portionnent les aliments. 

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Des pièces entièrement réfrigérées abritent la viande, le poisson et les denrées périssables. On emploie des chefs et une nutritionniste pour mettre au point les recettes. L’entreprise a pas moins de 1800 recettes en banque. Elle compte de nombreux employés issus de l’immigration. En collaboration avec la Commission scolaire de Montréal, on leur offre des cours de francisation sur place. On emploie aussi quatre personnes qui ont une déficience intellectuelle.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Judith Fetzer

Avec 90 000 $ dans un compte en banque, Mme Fetzer et ses associés ont lancé l’entreprise en 2014. « Une amie m’avait parlé d’un concept semblable, à Berlin. J’ai tout de suite trouvé que c’était une idée géniale », dit Mme Fetzer. Un an plus tard, elle lance son entreprise. Au départ, elle assemblait elle-même les boîtes-repas des clients et assurait la livraison le soir.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Depuis l’an dernier, Cook it offre à ses clients la boîte-repas presque entièrement réutilisable. Seuls la viande et le poisson sont emballés dans des plastiques jetables. La boîte, accessible dans trois quartiers de Montréal avec une simple consigne de 30 $, est peu populaire, déplore cependant Mme Fetzer. Seuls 125 clients sur les 4000 que comptent les quartiers visés ont opté pour le kit réutilisable.