« Ça n’existe juste pas, des pièces de rechange pour les minuteries de cuisinière, de laveuse, de sécheuse ou de lave-vaisselle », lance Serge Truchon, 58 ans. Ce réparateur se demande quel jeune sera intéressé par la reprise de son commerce, une fois l’heure de la retraite venue.

« Je suis le seul au Québec, peut-être même dans tout le pays, à savoir réparer des minuteries. C’est malheureux, mais ça ne s’enseigne pas à l’école. À ma retraite, mon savoir-faire sera perdu si je ne trouve pas la relève pour acheter mon commerce. Quelqu’un que je devrai forcément former. »

Chaque jour, dans son atelier Minutech, à Saguenay, le réparateur ouvre des paquets contenant d’étranges boîtes de métal. Ce sont des minuteries. Elles proviennent de ses clients, des détaillants de partout au Québec et du reste du Canada. Chaque fois, l’électroménager fonctionne très bien, il permet « de cuire, de laver ou de sécher, mais sa minuterie est morte », raconte M. Truchon.

PHOTO MARIANE L. ST-GELAIS, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

« Je suis le seul au Québec, peut-être même dans tout le pays, à savoir réparer des minuteries », dit Serge Truchon, 58 ans.

Selon lui, le gouvernement du Québec devrait travailler « en amont » et « non en aval », en exigeant des fabricants qu’ils donnent de l’information sur les appareils aux clients. Avec des manuels clairs, des consommateurs seraient capables de réparer eux-mêmes certains composants des électroménagers. Mais encore faut-il avoir accès à des pièces, ajoute-t-il.

Au fil des ans, je ne pourrais même pas vous dire le nombre d’électroménagers, probablement des milliers, qu’on a sauvés des poubelles. Chez nous, la réparation coûte 125 $, et on offre une garantie d’un an.

Serge Truchon, réparateur de minuteries

Difficile de trouver des pièces

« C’est correct de consacrer du temps à recycler nos canettes dans les gobeuses des épiciers, mais il me semble qu’on devrait tous commencer à exiger qu’on puisse réparer nos appareils électroniques, observe Pascal Boulet, enseignant en électronique au Centre de formation professionnelle (CFP) 24-Juin, à Sherbrooke. Il faut une volonté politique et citoyenne. Les réparateurs sont des bibittes peu connues, pourtant on peut réaliser des miracles », lance-t-il.

Selon lui, il était possible de réparer environ 90 % des appareils électroniques dans les années 1990. Les choses ont changé au tournant des années 2000, notamment avec l’arrivée des téléviseurs à écran plasma.

Aujourd’hui, je dirais qu’on arrive à réparer environ 60 % des appareils. C’est l’accès ou le prix des pièces, le problème. Après quelques années, elles ne sont plus disponibles chez les manufacturiers. J’ai malheureusement trop entendu “je vais le jeter” de la part de clients.

Pascal Boulet, enseignant en électronique au Centre de formation professionnelle 24-Juin

Le directeur du CFP Léonard-De Vinci, Réal Paquette, a plusieurs anecdotes au sujet des téléviseurs à écran plat. Et des difficultés à trouver des pièces pour les réparer.

« Au centre, on n’avait pas moins de six écrans de télévision avec de la distorsion. Avec les gars, on s’est dit que ça n’avait pas d’allure pour des techniciens de ne pas pouvoir les réparer [parce qu’on n’avait pas les pièces]. Finalement, j’ai trouvé, mais auprès d’une manufacture aux Philippines. Chaque pièce ne coûtait que 2,50 $. Nos télés fonctionnent encore très bien. »

Vers la fin des produits bas de gamme

Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), section Québec, entend déposer un mémoire auprès du gouvernement au sujet du projet de loi 29 sur l’obsolescence programmée. Selon Michel Rochette, président du CCCD-Québec, le fardeau de la réparation retombera sur les épaules des commerces en l’absence d’usines de grands fabricants d’appareils au Québec.

« La nouvelle loi prévoit l’obligation de fournir des garanties prolongées. Pensez-vous vraiment que les grands manufacturiers vont développer des produits durables juste pour le Québec ? Les produits bas de gamme, moins chers, risquent de disparaître des tablettes. Les clients risquent d’avoir moins de choix et, surtout, de se retrouver face à des produits plus chers. »

L’avocat Émile Catimel-Marchand est spécialisé dans les services financiers pour le cabinet McMillan. Il rappelle que la base du projet de loi 29 émane d’un travail universitaire, que le principe est intéressant, mais qu’il faut passer « de la théorie à la pratique ».

« Les énoncés de principe sont louables, notamment afin de permettre aux consommateurs d’avoir accès aux pièces pour effectuer leurs propres réparations. Mais il y a des questions à se poser sur la durée de vie utile, sur les garanties. Par exemple, qui va-t-on consulter pour réparer une télévision ? Si on regarde du côté de l’Europe, on constate qu’on a eu de la difficulté à établir les bases d’accès à la réparation. »

La solution dans l’économie sociale ?

Amélie Côté, analyste en réduction à la source d’Équiterre, estime que le droit à la réparation peut être à l’origine d’emplois qui s’inscriront dans le temps, dans l’économie sociale.

« Des données ont déjà démontré que notre consommation liée aux électroménagers et à l’électronique est trois fois plus importante au Canada que la moyenne mondiale, rappelle-t-elle. Nous sommes de plus en plus dépendants de nos appareils. Il est temps d’avoir accès à des pièces. On pourrait s’inspirer de l’Europe pour créer un fonds dédié à la réparation. »

À l’heure actuelle, il est quasi impossible d’avoir des données exactes sur la proportion des électroménagers et appareils électroniques qui sont réparés au Québec, et ceux qui finissent à la poubelle. L’organisme Recyc-Québec indique que le taux de récupération de l’électronique varie entre 1 % et 88 %, selon le produit.

Un programme en vogue

Au Centre de formation professionnelle 24-Juin, à Sherbrooke, un programme actualisé comportant un volet lié à la santé (réparation de lève-personnes, de lits et de fauteuils électroniques, de fauteuils de dentiste, etc.) est offert. La demande est forte.

Le cœur du projet de loi 29

• Interdire l’obsolescence programmée d’un bien, c’est-à-dire toute technique (dont l’accès aux pièces) visant à réduire la durée de vie normale d’un produit et la vente d’un tel bien.

• Donner aux consommateurs le droit de réparer leurs biens, notamment en interdisant l’utilisation de techniques rendant plus difficile la réparation d’un produit par le client.

Source : Loi sur la protection du consommateur (amendée), art. 227.0.4. et art. 227.0.3., par. 1

Du réfrigérateur au téléphone portable

Les électroménagers et appareils électroniques concernés par le projet de loi 29 dans un contexte de vente ou de location (plus de qautre mois) : cuisinières, réfrigérateurs, congélateurs, lave-vaisselle, laveuses, sécheuses, téléviseurs, ordinateurs (de bureau ou portables), tablettes, téléphones portables, consoles de jeu vidéo, climatiseurs et thermopompes.

Source : gouvernement du Québec