Au moment où le gouvernement Legault veut garantir le droit à la réparation, les salles de classe pour former des techniciens capables de réparer frigos, cuisinières ou téléviseurs se vident au Québec. L’an dernier, à peine 144 élèves se sont inscrits pour devenir techniciens en réparation d’électroménagers ou en électronique à travers la province.

De ce nombre, réparti dans une poignée de centres d’enseignement professionnel, tout juste 45 élèves ont poursuivi leurs études jusqu’à l’obtention du diplôme d’études professionnelles (DEP). Ce savoir-faire est pourtant essentiel à la mise en application du projet de loi 29 pour lutter contre l’obsolescence programmée.

Il n’existe qu’un seul établissement dans tout le Québec offrant un programme entièrement consacré à la réparation d’électroménagers. Il est situé à Montréal.

« Ça n’intéresse tout simplement plus les jeunes. Pourtant, tout se répare. Il faut arrêter de jeter, de vouloir du plus neuf, du plus beau, du plus moderne », estime François Lemire, directeur du Centre de formation professionnelle (CFP) Saint-Antoine-de-Saint-Exupéry, situé dans l’arrondissement de Saint-Léonard.

En 2022, son établissement rattaché au centre de services scolaire Pointe-de-l’Île n’a eu que 25 inscriptions. De ce nombre, à peine 14 élèves ont persévéré jusqu’à la remise du diplôme, selon des données obtenues par La Presse auprès du ministère de l’Éducation.

« Nous sommes le dernier bastion en électroménagers au Québec. Notre programme date de 1996, on l’a ajusté avec le temps, avec la collaboration des fabricants d’électroménagers. Pour notre cohorte d’automne, on a 19 inscriptions jusqu’à maintenant. La moyenne d’âge est de 35 ans, j’en ai même un de 54 ans. Plusieurs sont de nouveaux arrivants au pays », ajoute le dirigeant.

Dans le contexte, plusieurs experts voient difficilement comment le gouvernement arrivera à forcer fabricants et vendeurs d’électroménagers à garantir aux consommateurs un droit à la réparation.

Un « cafouillage » dans le milieu

GoRecycle est un organisme à but non lucratif (OBNL) encadrant le recyclage des frigos et appareils réfrigérants domestiques, avec des centaines de points de dépôt au Québec. Il gère aussi la reprise des anciens appareils par les grands magasins. Son directeur, Jules Foisy Lapointe, estime que ce sera un « véritable bordel » d’appliquer la nouvelle loi.

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Le Centre de formation professionnelle Léonard-De Vinci est doté d’un impressionnant magasin d’outils et de pièces à la disposition des futurs techniciens en entretien et réparation électronique.

« Il y a une différence entre le vœu environnemental, donc la vertu, et le vœu pratique, dit Jules Foisy Lapointe. Il y a un cafouillage dans le milieu de la réparation au Québec. Très peu de réparateurs possèdent des cartes de compétence. »

Nous sommes d’accord avec le principe du projet de loi, mais nous entrevoyons un bras de fer avec les manufacturiers qui devront offrir des garanties sur la réparation. Le fardeau va retomber sur les marchands, particulièrement les petits.

Jules Foisy Lapointe, directeur de GoRecycle

Alex Dupuis vend et répare des électroménagers pour la cuisine et la buanderie. Le propriétaire de l’enseigne Électrolibre, qui a pignon sur l’avenue Laurier à Montréal depuis 1976, raconte qu’il a déjà retenu les services d’un chasseur de têtes pour trouver un technicien.

« On m’a recommandé trois candidats, j’en ai retenu un seul. Le salaire est rendu à 30 $ l’heure. C’est un vrai bordel, le projet de loi que le gouvernement veut mettre en place. On donne des pouvoirs aux consommateurs sans les possibilités de réparer. La première étape serait de valoriser le métier auprès des jeunes, particulièrement des femmes. Exit les DEP en construction, l’avenir est dans la réparation. »

Des emplois avant la fin de la formation

Réal Paquette est directeur d’un autre centre de formation professionnelle, Léonard-De Vinci, dans Saint-Laurent. L’homme est un vieux routier de l’électronique, passionné au point d’avoir poursuivi des études universitaires de deuxième cycle dans le domaine.

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Réal Paquette, directeur du Centre de formation professionnelle Léonard-De Vinci

N’essayez pas de trouver quelqu’un pour réparer votre petite déchiqueteuse au Québec, ça n’existe juste pas.

Réal Paquette, directeur du Centre de formation professionnelle Léonard-De Vinci

L’équipe de M. Paquette a effectué une refonte du programme « Réparation et service en électronique ». Il espère réunir une classe de 22 étudiants cette année. Le défi sera de les convaincre de rester, raconte le dirigeant en offrant une visite des installations et des laboratoires.

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Au Centre de formation professionnelle Léonard-De Vinci, on apprend à entretenir et réparer des système de radiocommunication.

« La demande est tellement forte qu’ils se font offrir des emplois dans le secteur avant même la fin du cours. Le salaire moyen est de 26 $ l’heure. On parle d’une formation d’environ un an et demi, soit 1800 heures. On tente de convaincre les étudiants de rester en leur parlant des avancements possibles avec un DEP, de la possibilité de se partir en affaires », explique-t-il.

Revenu de sa retraite

Mohamed Ouhnana est professeur spécialisé en électronique d’entretien au CFP Léonard-De Vinci. Il a pris sa retraite en 2019. Elle n’a duré que six mois. L’établissement n’avait pas de relève, alors il est revenu enseigner. L’électronique n’a pas de secret pour lui, il sait remplacer des pièces obsolètes par à peu près n’importe quoi. Avec son équipe, il enseigne l’entretien et la réparation des vélos électriques, quadriporteurs, voiturettes de golf. C’est l’avenir, dit-il.

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Mohamed Ouhnana, professeur spécialisé en électronique d’entretien au Centre de formation professionnelle Léonard-De Vinci

« Il y a une logique de la réparation à transmettre. Les besoins du marché sont clairs, mais on est en train de perdre un savoir-faire. C’est malheureux », dit-il en ouvrant la porte sur une salle pleine d’appareils.

Dans une autre salle, juste à côté, il y a la réparation de domotique : c’est un nouveau programme. Il faut avoir accès à des réparateurs pour les rideaux programmables, la cafetière, la télévision, le chauffage et les caméras de sécurité connectés. « Les techniciens compétents ne courent pas les rues », glisse le vieux professeur en refermant la porte à clef.

L’exemple de la France

En France, une loi antigaspillage a été adoptée en 2020, suivie de la mise en place d’un « indice de réparabilité » en 2021. En affichant une note sur 10, cet indice informe les consommateurs sur le caractère plus ou moins réparable des produits. L’indice touche téléviseurs, aspirateurs, lave-vaisselle, nettoyeurs à haute pression, ordinateurs et les fameux téléphones intelligents. Une étude menée en 2020 révélait que seulement 40 % des appareils électriques et électroniques sont réparés en France.

Source : gouvernement de la France

Bientôt des consultations publiques à Québec

Le gouvernement du Québec tiendra deux jours de consultations publiques, les 12 et 13 septembre prochains, sur le projet de loi 29. Cette loi veut protéger les consommateurs contre l’obsolescence programmée en favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens.

Source : site de l’Assemblée nationale du Québec