Le phénomène de l’itinérance au Vermont ne date pas d’hier, mais a pris une importance particulière au cours des dernières années avec la flambée du marché immobilier et des loyers, qui rendent les logements inabordables pour les plus défavorisés.

Les élus ont opté pour une « solution d’urgence » en utilisant les fonds fédéraux accordés dans le cadre de la pandémie de COVID-19 pour loger des milliers de sans-abri dans des motels sans prévoir de plan permettant de faire face à leurs besoins à long terme, souligne Anne Sosin, chercheuse en santé publique du Dartmouth College.

« Au lieu d’investir pour relancer le système sur une nouvelle base, nous démantelons les ressources déficientes qui sont actuellement en place », déplore la spécialiste, qui ironise sur le fait que le gouvernement a prévu de remettre tentes et sacs de couchage aux personnes renvoyées à la rue pour amortir le choc.

Une telle approche serait peut-être appropriée pour encourager la pratique du plein air dans un État réputé pour ce type d’activité, mais ne répond en rien aux besoins complexes des personnes qui se retrouvent sans abri, relève Mme Sosin.

C’est de la pensée magique d’imaginer qu’ils vont disparaître dans la nature et que le problème va se résoudre par lui-même.

Anne Sosin, chercheuse en santé publique du Dartmouth College

Plusieurs études ont montré de façon concluante, ajoute la chercheuse, que l’attribution d’un logement indépendant est une étape initiale cruciale pour permettre aux sans-abri de stabiliser leur vie et de s’attaquer, avec un soutien externe, aux problèmes qui les fragilisent, que ce soit sur le plan physique ou psychologique.

Des États ayant réussi à lutter efficacement contre l’itinérance ont notamment investi à cette fin dans des logements temporaires susceptibles d’être transformés pour devenir de véritables appartements, illustre-t-elle.

Le Vermont, qui présente le deuxième taux d’itinérance parmi les États américains, aurait pu envisager de se porter acquéreur des motels utilisés plutôt que de dépenser des millions pour payer des chambres.

Il devrait par ailleurs développer son réseau de refuges temporaires, qui peine à répondre à la demande, souligne Mme Sosin.

« Les refuges sont petits, il y a peu de lits et le personnel manque, ce qui rend difficile d’augmenter la capacité d’accueil », souligne-t-elle.

L’organisation Groundworks, qui gère plusieurs établissements offrant des services aux sans-abri à Brattleboro, une petite ville du sud du Vermont, doit refuser chaque jour plusieurs personnes faute de place, indique une porte-parole, Libby Bennett.

La tâche du personnel n’est pas simple puisque nombre de sans-abri, très visibles dans le centre-ville de l’agglomération de 7500 habitants, présentent des problèmes de santé mentale qui exacerbent les risques de dérapage.

L’établissement en a fait les frais en avril dernier lorsqu’une femme en crise a tué une employée avec une hache.

Mme Bennett s’est bornée à dire, en évoquant la tragédie, qu’il est pratiquement impossible, vu le cadre juridique en place au Vermont, d’imposer un traitement à des personnes en crise qui s’y refusent.

Le directeur, Joshua Davis, pense qu’il est indéniable à l’heure actuelle que les ressources manquent à l’échelle de l’État pour répondre aux besoins des sans-abri.

Il était peut-être impossible financièrement de maintenir à long terme le programme permettant à des milliers de personnes d’être logées dans des motels, mais ça n’explique pas l’absence de plan de transition, dit-il.

M. Davis voit dans l’attitude des élus du Vermont à l’égard de l’itinérance le reflet de l’un des « plus grands mythes américains ». « Si vous travaillez fort, vous connaîtrez du succès. Sinon, quelque chose ne va pas chez vous », résume-t-il.

Le gouvernement a souligné en annonçant la réforme du programme que certains de ses bénéficiaires avaient des « solutions de rechange » et attendaient, pour les mettre en œuvre, de perdre le soutien financier accordé.

Le gouverneur républicain de l’État, Phil Scott, a déclaré par ailleurs que le programme ne « fonctionnait pas » puisqu’il n’obligeait pas ses bénéficiaires à suivre des formations ou des thérapies.

La plupart des élus démocrates du Vermont, hormis un noyau qui a réussi à éviter le pire, ont défendu l’idée de sabrer complètement le programme, relève Brenda Siegel, militante qui a déjà été candidate au poste de gouverneur pour le Parti démocrate.

« Je ne peux pas croire qu’on a voulu pousser 3000 personnes dans le ravin », dit Mme Siegel.

Selon Anne Sosin, l’itinérance est souvent vue « comme un échec personnel plutôt qu’un échec institutionnel », au Vermont comme ailleurs au pays.

« À l’échelle des États-Unis, les valeurs progressistes passent souvent à la trappe lorsqu’il est question » de cette problématique, ajoute-t-elle.

La crise au Vermont en quelques chiffres

De 5000 à 6700

Nombre de logements devant être construits annuellement au Vermont d’ici 2030 pour rééquilibrer le marché immobilier, comparativement à 2100 actuellement

Source : Vermont Housing Finance Agency

75 %

Proportion de familles sans abri au Vermont comptant au moins une personne souffrant d’un handicap

Source : Vermont State Housing Authority

20 %

Proportion de familles défavorisées au Vermont pouvant bénéficier d’une aide fédérale pour payer leur loyer qui sont incapables de trouver un logement à louer dans les délais requis pour la conserver. Il y a un an, le chiffre était de 70 %.

Source : Vermont State Housing Authority