La veille de notre rencontre, les parents de Vath, qui avaient été conviés à ce dimanche de retrouvailles à Brossard, où vivent aujourd’hui les Thibault, ont averti à regret que des ennuis de santé les forçaient à se désister.

« Je voyais à quel point Pam Yoth aurait souhaité être ici avec nous autres », dit Claude, que ses parrainés appellent encore « Papa ».

Sa voix se brise en évoquant la suite de la conversation.

« Pam Yoth a dit à Madeleine : “J’espère que vous allez nous aimer encore…”

— Oui, certain ! », a répondu la marraine.

L’homme, qui éprouve une reconnaissance infinie pour les parrains qui ont sauvé la vie de sa famille et pour la communauté sherbrookoise qui l’a épaulée, a clos la conversation avec la même formule qu’il répète chaque fois qu’il leur parle. « Merci beaucoup, je vous aime. »

Le temps a passé. L’amour est resté. Je l’avais saisi sans peine, avant même qu’ils aient besoin de le dire : même si officiellement, un parrainage dure un an, les liens qui unissent les Thibault et les Yoth n’ont pas de date de péremption.

Malgré les déménagements successifs qui ont amené les parrains à Brossard et les parrainés à Laval, les deux familles sont soudées à tout jamais.

En replongeant dans leurs souvenirs, les anecdotes fusent. Parfois très tristes, à l’image de l’horreur qui a poussé la famille de Vath à fuir. Parfois très drôles, avec tous les quiproquos que le fait de ne pas parler la même langue peut entraîner. Comme cette fois où, peu de temps après l’arrivée de la famille, Claude et Madeleine sont allés chercher Pam Yoth, Tum Hun et Vath pour les emmener souper. À leur arrivée à l’appartement, Pam Yoth se réveillait d’une sieste. Il portait les combines qu’on avait offertes à tous les réfugiés à leur arrivée à la base militaire. Sous le regard médusé de Claude, il s’est « habillé » pour sortir. « Pam Yoth a mis son gros parka avec capuchon par-dessus ses sous-vêtements et il s’en venait veiller ! »

Madeleine a bien vu le fou rire de son mari et en était gênée. Elle a fait signe à Claude d’aller rire dehors. Elle a tenté d’expliquer à Pam Yoth qu’il ne s’agissait pas d’une tenue de soirée. « Je suis allée vers son garde-robe. J’ai pointé ses pantalons et je lui ai fait signe de les porter ! »

Pour Claude, qui a décidé avec Madeleine de se lancer dans le parrainage après un appel du curé de la paroisse, il y avait dans ce projet collectif quelque chose qui rejoignait ses valeurs profondes. Il trouvait aussi important que leurs trois enfants, Christian, Sylvain et Charles, soient partie prenante du projet d’accueil, prennent conscience de ce qui se passe dans le monde et tirent un enseignement de la résilience des réfugiés.

« Ils nous ont apporté beaucoup », insiste Claude, qui est un retraité de l’enseignement et pionnier de la prévention du suicide – il est le fondateur de l’organisme JEVI en Estrie.

On a tant appris à leurs côtés. Ils nous ont enseigné que même en ayant une vie difficile, on se doit toujours d’espérer malgré tout.

Claude Thibault

Marqué à jamais par cette expérience, Sylvain a même décidé de travailler dans le domaine de l’accueil des immigrants. Inspiré par ses parents, il a aussi décidé de devenir parrain à son tour. Son engagement et les valeurs universelles transmises à leurs trois fils rendent les parents d’accueil très fiers.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Sylvain Thibault, Claude Thibault et Madeleine Guertin

« Madeleine, comme maman, et moi, comme papa, avec les enfants, on a toujours eu comme préoccupation de penser que toute personne humaine sur la Terre a le droit non seulement à la vie, mais aussi au respect. Vous n’étiez pas des numéros pour nous autres », dit Claude en s’adressant à Vath.

Vath n’en doute pas une seconde. Il n’a que de bons souvenirs des week-ends qu’il passait avec Charles, le fils cadet des Thibault, à jouer aux G.I. Joe. La bienveillance des Thibault a adouci l’exil de sa famille. Celle-ci, qui s’est agrandie après avoir posé ses espoirs à Sherbrooke, est aujourd’hui bien intégrée. Après avoir appris le français dans un COFI (Centre d’orientation et d’intégration des immigrants), le père de Vath, qui était fermier au Cambodge, a fait une formation pour être conducteur de machines textiles. Vath est devenu le premier policier d’origine cambodgienne au sein du Service de police de la Ville de Montréal il y a 25 ans. Ses sœurs et lui ont à leur tour fondé une famille où tous les espoirs sont permis.

Mesurant sa chance d’avoir pu compter sur Claude, Madeleine et leurs garçons, Vath trouve leur exemple inspirant. Il aimerait aussi un jour devenir parrain. « À un moment donné, ce sera mon tour. » En attendant, il tente de suivre leurs traces en étant entraîneur bénévole de soccer auprès de jeunes souvent en perte de repères de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, à Montréal.

« Ce sont des jeunes qui n’ont pas eu la chance que quelqu’un comme vous les accueille. Moi, si ce n’était pas de vous, je n’aurais pas eu cette nouvelle vie-là. »