Sur les plateformes de revente, dans les friperies et chez Réno-Jouets, les jeux d’occasion sont prisés. Poussée par une prise de conscience environnementale, mais surtout par un désir de faire des économies, cette demande en croissance témoigne-t-elle de la fin d’un tabou ?

Pour Noël, les quatre enfants de Jennifer Boulianne recevront de leurs parents principalement des jouets d’occasion, achetés sur Marketplace et dans une friperie située dans un sous-sol d’église. « Ils n’auront pas exactement ce qu’ils ont demandé, mais en tant que parents, on connaît leurs goûts. Je sais qu’ils ne seront pas déçus », affirme la résidante de Malartic, en Abitibi-Témiscamingue.

Ayant entamé il y a deux ans une démarche pour diminuer leur empreinte environnementale, son conjoint et elle ont décidé cette année de s’attaquer à la surconsommation entourant la fête de Noël. « Ça fait environ un an que j’ai commencé à acheter des objets usagés, souligne Jennifer Boulianne. Mais ça va être la première fois que je vais donner des jouets usagés à mes enfants devant ma famille. » Elle a peur de paraître cheap et craint le jugement, celui des autres membres de sa famille – « Mes parents sont du genre à surconsommer énormément » –, pas de ses enfants, qui sont âgés de 1 à 6 ans.

Quand quelqu’un leur donne ses choses usagées, ils se sentent privilégiés. Ce n’est pas négatif pour eux, au contraire. Il y a un enfant qui a eu du plaisir avec ce jouet, ils sont chanceux de pouvoir aussi avoir du fun.

Jennifer Boulianne

Adepte de meubles, de vêtements et d’équipements d’occasion pour bébé, Mary Betancur était réticente à offrir des objets usagés en cadeau, une pratique qui lui paraissait radine. Jusqu’à ce que ses enfants lui demandent des jouets spécifiques qui ne se trouvaient plus en magasin. « Depuis ce temps, ma vision a changé et quand je peux trouver dans l’usagé, mais en excellent état, je le prends. » Encore cette année, sur la liste de cadeaux de ses enfants les plus vieux, aujourd’hui âgés de 12 à 18 ans, il y avait des liens d’annonces sur Marketplace, souligne la Montréalaise.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Des employés de Réno-Jouets au travail

Virage

Fondatrice de Réno-Jouets, une entreprise d’économie sociale à but non lucratif de Québec qui répare, nettoie et revend des jouets usagés, Annie Asselin a vu le changement de perception s’opérer au fil des ans, particulièrement au cours des deux dernières années. « Quand j’ai commencé en 2006, ma clientèle, c’était surtout les garderies et les écoles, puis les gens qui le faisaient pour l’écologie. Mais donner des jouets usagés en cadeau de fête ou pour Noël, ce n’était pas vraiment à la mode. J’ai vu un virage après la COVID. »

Aux valeurs environnementales s’est ajoutée la hausse du coût de la vie. « J’ai des couples qui m’ont dit que si on n’était pas là, les enfants n’auraient rien à Noël », souligne-t-elle.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Annie Asselin, directrice générale et fondatrice de Réno-Jouets

Réno-Jouets, qui réalise la majorité de ses ventes en novembre et en décembre, s’attend à battre cette année le record de l’an dernier où 23 000 jouets avaient été vendus en deux mois. En 2022, Réno-Jouets et Renaissance ont également ouvert à Brossard une boutique spécialisée dans la valorisation et la revente de jouets usagés.

De moins en moins mal perçu

Selon des données du Baromètre de la consommation responsable, publié en novembre dernier, 43,5 % des Québécois ont acheté des articles d’occasion en 2022. Le rapport du plus récent Indice Kijiji daté de 2019 indiquait déjà que « l’opinion de la société à l’égard des biens de seconde main a changé et poursuit son évolution ». En cinq ans de mesure, le nombre de gens ayant déclaré qu’ils avaient offert un bien usagé en cadeau a doublé, atteignant plus de la moitié.

« Globalement, les objets de seconde main sont de moins en moins mal perçus », constate Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Dans le cas des cadeaux, c’est quelque chose qui n’est pas aussi tabou qu’on peut le penser parce qu’il y a déjà toutes sortes de catégories d’objets qui sont offerts d’occasion comme les objets de type collectionneur, les antiquités et les produits reconditionnés.

Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’UQAC

Le contexte économique difficile, le développement de sites et d’applications de revente et le marketing les entourant ont, selon elle, contribué à normaliser l’achat de biens d’occasion. Il existe encore néanmoins des freins, liés principalement à la perception de sécurité et d’hygiène et, dans une moindre mesure, au « risque social », soit l’exposition au jugement des pairs. « C’est quelque chose qu’on a davantage remarqué chez certaines communautés, notamment les communautés asiatiques », note celle qui a rédigé une thèse de doctorat sur la consommation collaborative et les pratiques d’occasion.

Le jugement ne vient souvent pas des enfants. Depuis qu’il est père, Jean-François Paiement offre à ses enfants de 3 et 7 ans des jouets d’occasion. « Jeune, j’ai eu des cadeaux usagés et j’ai toujours bien vécu avec ça ! », dit-il. À longueur d’année, il garde l’œil ouvert sur Marketplace afin de dénicher des Lego, des objets liés aux Pokémon ou à la Pat' Patrouille qui plairont à ses enfants. Il complète au besoin avec des jouets neufs.

« On est allés magasiner les cadeaux de Noël en fin de semaine et un camion Pat' Patrouille avec un bonhomme revient à 25 $. J’ai trouvé un lot de quatre camions pour le même prix avec la tour ! Même si j’ai un très bon salaire, avec tous les prix qui augmentent, ça encourage à aller vers l’usagé. » Il craint cependant que la situation se corse lorsque ses enfants grandiront et auront des demandes spécifiques ou liées à des produits électroniques.

Un conte sur le gaspillage

Pour ouvrir la discussion avec les enfants, Florence-Léa Siry aborde la réutilisation des jouets dans Le père Noël gaspille, un conte de Noël sur la surconsommation illustré par Catherine Petit. Influencés par l’arrivée d’Ekko, un lutin à la conscience environnementale aiguisée, les lutins du père Noël se mettent à réparer et valoriser d’anciens jouets plutôt que d’en fabriquer de nouveau. « Au début, tout le monde est dans l’opposition, ça représente la société, remarque l’experte zéro gaspillage. Mais après, tout le monde réalise à quel point c’est logique de faire ça et les gens prennent plaisir à réparer, nettoyer, tricoter. » « Quand le geste est individuel, il devient lourd à porter sur les épaules d’une seule personne », ajoute-t-elle. Ainsi, pour amoindrir la gêne, elle propose de faire des objets d’occasion une thématique lors de l’échange de cadeaux.

Le père Noël gaspille

Le père Noël gaspille

La Bagnole

32 pages