C’était le 8 décembre 1979. Une vraie journée d’hiver.

Il faisait un froid de loup quand Claude Thibault et Madeleine Guertin ont pris la route de Sherbrooke vers la base militaire de Longue-Pointe. Objectif : aller chercher la famille de réfugiés cambodgiens qu’ils avaient accepté de parrainer.

Ils se revoient émus et fébriles, comme de jeunes parents qui s’apprêtent à accueillir un nouveau-né. Dans les faits, c’est comme s’ils en accueillaient trois d’un coup : le petit Vath, 4 ans, et ses parents Pam Yoth et Tum Hun. Grâce au programme de parrainage tout juste lancé par le gouvernement de René Lévesque et célébré ces jours-ci dans le film Ru, la petite famille fuyant le génocide cambodgien avait le droit à une deuxième vie, une deuxième chance.

Quarante-quatre ans plus tard, alors que le petit Vath devenu grand se remémore les souvenirs de sa première neige avec la famille Thibault, l’émotion est toujours palpable.

Madeleine se revoit dans la voiture ramenant la petite famille épuisée par son périple vers sa nouvelle demeure. Elle observait Pam Yoth, assis sur la banquette arrière, son fils sur ses genoux, roulant dans un paysage d’hiver avec des inconnus dont il ne parlait pas la langue.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE, D’ANCIENNES PHOTOS DE CLAUDE THIBAULT ET MADELEINE GUERTIN

La famille Thibault a ouvert les bras à cette famille qui avait séjourné dans un camp de réfugiés en Thaïlande.

« Il tenait Vath fort, fort dans ses bras, serré contre lui tout le long du voyage », dit-elle en mimant son geste. « Vath, t’étais petit, tu savais pas trop ce qui se passait et il voulait donc te protéger. »

La scène est restée bien gravée dans la mémoire de la marraine, que ses parrainés appellent encore « Maman », 44 ans plus tard.

Je me souviens de cet amour-là. Toute cette affection. C’était très, très beau.

Madeleine Guertin

Une beauté universelle à préserver donnant tout son sens au geste de solidarité humaine que la famille Thibault a eu envie de faire en ouvrant les bras à cette famille qui avait séjourné dans un camp de réfugiés en Thaïlande.

« Tu y penses… Ils ne nous connaissaient pas du tout. Ils ne savaient pas où ils s’en allaient. Ils ne savaient rien de notre pays. C’est ce qui fait que je me suis impliquée. Je me mettais à leur place. Ils doivent fuir leur pays et tout laisser derrière. Il faut être fort pour s’exiler, se reprendre en main et faire confiance. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Claude Thibault et Madeleine Guertin

Madeleine a compris plus tard, lorsque Pam Yoth a maîtrisé assez bien le français et s’est senti assez en confiance pour se raconter, que la mère biologique de Vath avait été assassinée au Cambodge. Tum Hun, que Vath considère comme sa mère, est la deuxième femme de Pam Yoth, rencontrée dans un camp de réfugiés. Le récit de la fuite à pied du père avec son fils orphelin et son beau-frère du Cambodge à la Thaïlande l’a profondément bouleversée.

« Ton père disait qu’il y avait des mines antipersonnel et il a vu de ses amis y mettre les pieds. Il a été obligé parfois de manger des feuilles… », dit-elle à Vath.

« As-tu des souvenirs de ça ?

– Non. Et c’est peut-être mieux comme ça… »

Les premiers souvenirs de Vath sont des souvenirs heureux au Québec. Lui qui n’avait jamais vu de la neige se rappelle son émerveillement en sortant de l’avion. « Ça m’a marqué ! »

C’est aussi un souvenir marquant pour ses parents. Mais contrairement à leur garçon de 4 ans, ils étaient davantage dans le choc thermique post-traumatique que dans l’émerveillement. Leur première réflexion en découvrant le panorama hivernal québécois fut de se demander comment les animaux pouvaient survivre au froid et à la neige et comment des humains pouvaient vivre dans un tel climat.

Ils ont vite trouvé la réponse auprès de leurs parrains. Leur accueil chaleureux a réchauffé le plus froid des hivers. Sous les flocons, l’espoir redevenait possible.