Le gouvernement l’a déjà baptisée la « loi de Maureen » : une future législation visant à empêcher la répétition du drame qui a coûté la vie à Maureen Breau, policière de la Sûreté du Québec poignardée l’an dernier au cours d’une arrestation qui a mal tourné.

Mais si on veut vraiment que le nom de Maureen marque l’histoire du Québec, si on veut que les choses changent pour vrai, dans cette province, il faudra plus qu’un projet de loi facilitant le partage de renseignements entre les policiers et le réseau de santé.

L’annonce du premier ministre François Legault, lundi, constitue un pas dans la bonne direction, mais Québec doit aller plus loin et permettre, enfin, un meilleur encadrement des personnes violentes ou perturbées qui sont remises en liberté.

Le gouvernement doit faciliter la tâche des policiers, mais aussi des psychiatres, pour qui les législations actuelles mettent carrément des vies en danger.

Il doit s’inspirer de la « loi de Brian », qui a véritablement changé les choses en Ontario.

« L’objectif, c’est que l’information circule bien entre les policiers et le réseau de la santé », a expliqué François Legault. Le projet de loi1 permettra aux policiers d’avoir accès aux renseignements médicaux des individus jugés non criminellement responsables de leurs actes et qui ont été libérés sous conditions par la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM).

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC

La policière Maureen Breau

Une communication plus fluide ne fera certainement pas de tort. À l’enquête publique de la coroner sur la mort de Maureen Breau et d’Isaac Brouillard Lessard, abattu après avoir poignardé la sergente, des policiers se sont dits frustrés2 par le manque de collaboration du milieu de la santé. « On dirait qu’il y a une satisfaction à virer de bord un policier », a laissé tomber l’un d’eux.

Mais les audiences de l’enquête publique de la coroner ont aussi jeté une lumière crue sur les problèmes de communication… au sein même de la Sûreté du Québec.

« On a les mains liées, je ne peux pas intervenir si je n’ai pas les éléments nécessaires pour l’arrêter », a plaidé une policière qui s’est rendue à l’appartement d’Isaac Brouillard Lessard le 24 mars 2023, seulement trois jours avant le drame.

Pourtant, cette policière aurait pu intervenir… si elle avait su qu’Isaac Brouillard Lessard était sous conditions fixées par la CETM. Or, non seulement elle ne le savait pas, mais elle ignorait jusqu’à l’existence de ce tribunal administratif, dont les décisions visent pourtant à assurer la sécurité du public !

Elle n’était pas la seule. Sa superviseure n’avait apparemment jamais entendu parler de la CETM, elle non plus, malgré ses dix ans d’expérience dans la police. L’agent qui a reçu la plainte de l’oncle d’Isaac Brouillard Lessard ne savait pas davantage ce que la CETM mange en hiver…

Dans cette tragique affaire, le problème n’était pas tant l’opacité de la confidentialité médicale que cette stupéfiante méconnaissance de la CETM au sein du corps de police. Abasourdie, la coroner Géhane Kamel a fait remarquer que les policiers avaient en main tous les leviers pour ramener Isaac Brouillard Lessard à l’hôpital. Seulement, ils l’ignoraient. Alors, ils sont tout bonnement repartis.

Trois jours plus tard, l’homme en crise a commis l’irréparable.

Alors que les appels au 911 impliquant des troubles de santé mentale explosent, les agents de la SQ ont besoin de formation à ce sujet – et de toute urgence. Ça fera assurément partie des recommandations de la coroner Kamel, dont le rapport est attendu à l’automne.

Mais, je le disais, il faudra plus que cela pour éviter d’autres drames.

Il y a un quart de siècle, l’Ontario a adopté la loi de Brian, ainsi nommée à la suite de l’assassinat de Brian Smith, un ancien joueur de la Ligue nationale de hockey abattu en pleine rue par un schizophrène.

À l’époque, les policiers ontariens ne pouvaient forcer l’hospitalisation d’une personne perturbée que si cette dernière présentait un danger « grave et immédiat » pour elle-même ou pour autrui, comme c’est encore le cas au Québec.

Mais depuis l’adoption de la loi de Brian, « les critères ontariens sont plus lousses, explique Stéphane Wall, superviseur retraité du Service de police de la Ville de Montréal. Si les policiers ont des motifs de croire qu’il y a un danger important pour la communauté, ils peuvent forcer un transport » à l’hôpital.

Le Québec a tout intérêt à s’inspirer de la loi de Brian, estime l’expert. C’est aussi ce que pense l’Association des médecins psychiatres du Québec, pour qui « les lois actuelles ne favorisent pas la prévention des actes violents »3. En matière de dangerosité, la barre est fixée trop haut au Québec, disent les intervenants. Trop souvent, on attend que le danger se matérialise avant d’intervenir.

Et trop souvent, on donne son congé à un patient avant que son état ne se soit stabilisé. « On appelle ça le phénomène des portes tournantes, dit Stéphane Wall. Les familles sont découragées. Elles ont appelé le 911, leur gars était en train de péter sa coche, pis il est revenu trois heures après… »

On a beau dénoncer depuis des années ce phénomène aussi désespérant que dangereux, on a l’impression que rien ne change. Jusqu’à maintenant.

À la suite du meurtre de Maureen Breau, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a en effet chargé l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice4 de réviser de fond en comble la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, aussi appelée la loi P-38.

Les recommandations de l’Institut sont attendues, au plus tard, à la fin de 2025. Une gestation plus longue que celle de la loi de Maureen. Mais, plus encore que la législation qui portera son nom, la refonte attendue de la loi P-38 pourrait changer des vies – et en sauver. Alors, on pourra vraiment dire que la sergente Maureen Breau n’est pas morte en vain.

1. Lisez « Un projet de loi “Maureen Breau” sera déposé, annonce Legault » 2. Lisez « Enquête sur la mort de Maureen Breau : les policiers témoignent » 3. Lisez « Les lois ne favorisent pas la prévention » 4. Consultez le mandat des travaux lancés par le ministre Lionel Carmant