Il n’y aura pas de chialage dans cette chronique. Je n’ai pas de chemise à déchirer, aujourd’hui. Chronique tranche de vie.

C’était le 9 janvier dernier et Sylvie Patenaude remontait Saint-Denis vers la Métropolitaine, direction la maison, à Anjou.

Mais son auto faisait un drôle de bruit : « Je vous le dis, j’avais frappé au moins quatre nids-de-poule, ce jour-là… »

Mme Patenaude a décidé d’inspecter sa voiture avant d’embarquer sur la voie rapide. Tourne sur Crémazie, tourne sur Berri, elle était certaine qu’il y avait un garage pas loin, mais elle n’en trouve pas. Elle se gare devant un autobus, sort de son auto…

Ça n’a pas été long pour trouver la cause du bruit qui dérangeait Sylvie Patenaude dans l’habitacle de sa vieille Hyundai Accent héritée de feu sa maman : un des pneus avait été crevé par un nid-de-poule…

Elle a appelé son chum. Chéri, viens me chercher, j’ai fait un flat, c’est toi qui as la carte de la CAA…

« Puis, je suis allé voir le chauffeur de l’autobus, me dit Mme Patenaude, il était en pause. J’ai cogné à sa fenêtre… »

Le chauffeur a ouvert.

« Savez-vous où il y a un garage dans le coin, monsieur ?

— Désolé, non. Pourquoi ?

— J’ai crevé un pneu… »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Carlos Diaz, devant son autobus

Le chauffeur de la STM est alors sorti de son mastodonte, il est allé inspecter les dégâts et il a demandé à Sylvie Patenaude d’ouvrir son coffre. Puis, il a tout bonnement sorti la roue de secours et entrepris de l’installer en lieu et place du pneu crevé…

Pas de gants, juste sa veste de la STM, il faisait froid, là !

Sylvie Patenaude

Le chauffeur semblait savoir comment changer un pneu, relate Mme Patenaude, qui n’en revenait pas de voir cet étranger venir à son secours : « Ça n’a pas pris dix minutes ! »

Une fois la roue de secours installée par le chauffeur-Samaritain, Sylvie Patenaude a voulu le remercier, elle lui a offert de l’argent, sans succès : refus répétés du chauffeur.

« Il m’a juste dit qu’il s’appelait Carlos, Carlos Diaz… J’étais sous le choc, monsieur Lagacé, toute la journée j’ai été reconnaissante, je me disais : les chauffeurs de la STM font ça ?! Alors ce soir-là, j’ai retracé son patron, je lui ai écrit pour souligner le bon geste de M. Diaz, mais avec une petite peur, quand même, j’avais peur qu’on le punisse pour avoir pris le temps de m’aider, vous savez comment les patrons peuvent être, des fois… Le patron m’a rassurée : non, non, on va pas le punir, on va soumettre son nom aux Méritas de fin d’année. Puis, après, ben je vous ai écrit pour vous raconter mon histoire… »

J’ai adoré cette histoire, mais étant astreint aux plus hauts standards de professionnalisme du journalisme canadien-français, il fallait encore que je valide si elle était vraie, cette histoire, j’ai donc fait marcher mes sources cachées à la STM (bon, non, en fait, j’ai contacté le service des relations avec les médias) en demandant qu’on me mette en contact avec le chauffeur Carlos Diaz…

Boum, peu après, je l’avais au téléphone, ce M. Diaz et son accent ensoleillé (pardonnez le cliché) de la Colombie, sa terre natale.

« J’ai vu le pneu à terre et j’ai demandé à la dame : “Es-tu outillée ?” Il faisait froid, oui, mais je l’ai fait, ça ne m’a pris que quelques minutes. Elle voulait me donner de l’argent, j’ai dit : “Non, madame, ça me fait plaisir, bonne journée !” »

Il se trouve que M. Diaz, arrivé au pays en 2008, est chauffeur d’autobus depuis six ans à la STM. Sa formation : la musique. Il a été chef d’orchestre, il enseigne aussi le violon. La mécanique ? Il a pour ainsi dire grandi dans un garage : « Mon père était garagiste… »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Carlos Diaz est chauffeur d’autobus à la STM depuis six ans.

Aider, c’est dans les fibres de notre homme. Un peu comme un superhéros qui traînerait toujours sa cape dans le panier de son BIXI, Carlos Diaz traîne dans son auto une batterie de voiture autonome, pour pouvoir recharger celles des automobilistes dans le besoin.

Ma femme, quand elle voit une auto en panne, me dit souvent : “Ne regarde pas, on doit arriver à destination !” Elle trouve que j’aide trop les gens…

Carlos Diaz

Mais quand même, monsieur Diaz, vous n’aviez pas à sortir aider cette inconnue, Mme Patenaude, alors que vous attendiez de reprendre le service sur la ligne 135, mais vous l’avez fait sans même hésiter, dans le froid, pis toute…

Pourquoi ?

« Je suis content de pouvoir aider. Ça me vient de ma mère, de mon père. Je suis latino, on s’aide. On fait ce que nos parents nous ont montré, vous savez… »

J’allais dire que nous avons besoin de plus de Carlos Diaz, mais je me reprends : les Carlos Diaz sont partout, ils sont parmi nous, ils font du bien chaque jour. C’est juste qu’on ne les voit presque jamais dans les journaux, les journaux manquent de tranches de vie.