Pour sauver la face, un syndicat doit grafigner celle du gouvernement. Sinon, leurs membres resteront avec un doute : aurions-nous pu obtenir davantage en étant plus combatifs ?

Dans ce contexte, on devine le résultat des votes de grève qui ont commencé à se prendre lundi et qui se poursuivront jusqu’au 13 octobre. Les grandes centrales sont prêtes à descendre dans la rue. Autour de l’Halloween, on devrait voir les mascottes gonflables avec François Legault en épouvantail.

La grève paraît inévitable. D’autant plus que cela faisait longtemps que les syndicats n’avaient pas été à ce point incités à tenir la ligne dure.

Cette fois, ils font front commun. Ils pourraient déclencher des grèves par secteur ou par région. Ou encore débrayer partout, mais pour une courte période. Avec une escalade pouvant mener jusqu’à la grève générale illimitée.

Le gouvernement n’a aucun intérêt à faire des concessions maintenant. Peu importe ce qu’il avance, les syndicats sortiront dans la rue. Mieux vaut laisser la vapeur sortir avant d’ouvrir son jeu.

Reste que cette fois, les syndicats sentent que le rapport de force est à leur avantage.

D’abord, les services essentiels ont été redéfinis. Des cadres devront donc les remplacer. La pression s’accroîtrait ainsi sur l’employeur pour conclure une entente.

Ensuite, il y a eu la hausse de rémunération – 30 % – que les députés se sont votée. Après des années de gel, ils méritaient un rattrapage. L’ex-juge de la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé avait trouvé une formule adéquate en 2013 : augmenter leur salaire, mais dégraisser leur régime de retraite assimilé à une « Ferrari ». Or, les caquistes ont commandé un nouveau rapport avec un mandat restreint qui leur a permis de gonfler leur salaire sans ajuster leur rente. Si c’est assez bon pour eux, pourquoi le refuser aux autres ?

Enfin, il y a l’étonnant rejet par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ) de leur entente de principe. Ce compromis paraissait déjà généreux : une hausse de 21 % de leur paye sur cinq ans, soit plus que les 9 % offerts aux autres employés de l’État. Les agents de la SQ, eux, se comparaient à leurs homologues de Montréal mieux payés.

Les grandes centrales syndicales ne voudront pas conclure une entente qui risque d’être rejetée par leurs membres. Elles seront encore plus pugnaces. D’un autre côté, elles entrevoient le danger.

Toute négociation collective comporte une part de théâtre. Dès le début, les parties devinent à quoi l’entente finale ressemblera. Elles commencent en mobilisant leurs membres, puis préparent l’atterrissage pour vendre l’entente.

La hausse de rémunération des députés et le rejet des policiers facilitent la première étape, mais compliquent la deuxième. Les syndicats se demandent si leurs membres seront aussi jusqu’au-boutistes que les policiers de la SQ.

Les syndicats croient avoir l’appui de la population.

Le modèle québécois craque de partout. L’État peine à recruter et à retenir le personnel dans les garderies, les écoles, les hôpitaux et les palais de justice.

Selon un sondage SOM, 75 % des Québécois croient que l’amélioration des conditions de travail des syndiqués aurait un impact positif sur les services publics. Et ils sont 56 % à juger l’offre gouvernementale « insuffisante » ou « très insuffisante ».

Or, ce sondage ne dit pas toute l’histoire.

Il a été commandé par les syndicats – si les questions insistaient sur la facture refilée aux contribuables, la réponse aurait été différente. Chaque hausse d’un point de pourcentage se traduit par 600 millions de dollars pour l’État.

De plus, l’exercice demande aux sondés de se prononcer sur ce qu’ils ne connaissent pas. Seule l’offre de départ de Québec est publique. C’est un plancher. Lors des négociations, l’employeur propose des bonifications pour certains métiers. Or, ces offres sectorielles restent confidentielles.

En 2020, les préposés aux bénéficiaires, les infirmières et les enseignantes avaient reçu une majoration qui a seulement été dévoilée à la signature de l’entente. Cela devrait se reproduire pour ceux qui éduquent les jeunes et soignent les malades. Mais sur la place publique, Sonia LeBel ne peut pas s’avancer sur les détails.

Difficile de juger des pourparlers confidentiels, surtout pour l’organisation du travail. Québec et les syndicats disent tous deux vouloir l’améliorer.

Les enseignants souhaitent réduire le ratio d’élèves par classe. Cela risquerait toutefois d’aggraver la pénurie. Québec propose d’alléger leurs autres tâches. On aimerait y croire, mais les promesses d’éliminer la paperasse se succèdent sans que les profs en voient l’effet.

Peu importe les opérations de spin, une chose est certaine : si ceux qui livrent les services publics sont mécontents, tout le monde en payera le prix.

Voilà la toile de fond des menaces de grève. Une entente d’ici Noël n’est pas impossible. En coulisses, du moins, c’est ce qu’on dit, les doigts croisés…

Dans le théâtre des négociations, chacun se dévisage devant le fil d’arrivée, en attendant de voir qui fera le dernier pas. Il ne manque que la musique d’Ennio Morricone.

Et pour compliquer la dynamique, les centrales syndicales pourraient commencer à s’observer de plus près. Car avec la réforme de la santé, les accréditations syndicales chuteront – il y en a plus de cent, et il n’en restera que quatre. Il y aura plus de perdants que de gagnants, et une bataille de positionnement s’amorce.

L’automne s’annonce à la fois court et chaud.