Je serai franche. Je m’inquiète légèrement pour l’enfant du père qui a dénoncé Mx Martine, cette enseignante non binaire d’une école primaire de la Montérégie.

Pas à cause de Mx Martine, non. À cause du père. L’homme par qui le « scandale » est arrivé. Celui qui s’est permis de diffuser, sur Facebook, la lettre d’une directrice d’école invitant des parents à utiliser le terme Mx (prononcer Mix) pour désigner Martine, qui s’identifie comme ni strictement femme ni strictement homme.

Il suffit d’éplucher la page Facebook de ce monsieur pour comprendre à qui on a affaire. Le 23 août, il a diffusé les déblatérations d’une femme à propos d’additifs à base d’excréments humains et de gélatine de bonbons fabriqués avec des fœtus avortés. Le 21 août, il a publié des photos d’inquiétantes traînées blanches striant le ciel. Pas de vulgaires nuages, mais des chemtrails, ces toxines répandues par de mystérieuses agences gouvernementales pour empoisonner la population à petit feu.

Bref, notre homme est un complotiste full patch. Antivax, anti-mesures sanitaires, il est allé le crier haut et fort avec les camionneurs qui ont bloqué le centre-ville d’Ottawa, en février 2022.

La crise pandémique passée, peut-être se cherche-t-il d’autres épouvantails. Et quoi de plus épouvantable qu’un prof non binaire dans une classe bondée d’enfants innocents ?

« Le monde sont écœurés de ce mouvement LGBTQ, explique-t-il dans une vidéo diffusée sur sa page Facebook. Moi, je ne suis pas homophobe, ça ne me dérange pas, tu fais ce que tu veux chez vous, mais lâchez les enfants ! »

Lâcher les enfants ? Mx Martine n’a pourtant agressé personne. C’est une enseignante qui demande simplement un peu de respect en classe. Elle ne se reconnaît pas dans les titres de civilité « Mme » et « M. » et souhaite que les enfants utilisent une autre option lorsqu’ils s’adressent à elle. Mx Martine, donc. Elle n’a rien inventé : le néologisme a été créé dans les années 1970 et figure même dans certains dictionnaires de langue anglaise.

Au Québec, où on l’a rarement entendu, le terme peut surprendre. On peut bien débattre de son emploi, comme l’a suggéré le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. S’il n’en tenait qu’à moi, on élargirait la réflexion à l’usage, généralisé dans les écoles primaires, du titre de civilité suivi du prénom de l’enseignante. Les « Madame Emmanuelle » et « Madame Natacha », je l’avoue, ça m’a toujours fait tiquer. Dans ma tête, ça sonne Madame Claude. Mais bon, ça, c’est juste mon ressenti…

Je suis conservatrice à propos de la langue. Je la mettrais dans le vinaigre pour qu’elle dure plus longtemps. Je résiste même à la féminisation inclusive, adoptée par les Québécois depuis des années, voire des décennies. Non, je n’écrirai pas « les Québécoises et les Québécois ». De toute façon, il paraît que cette formule inclusive serait désormais à éviter, puisqu’elle n’est « pas respectueuse des personnes non binaires », je vous jure, je l’ai lu sur le site du gouvernement du Canada…

Je résiste avec autant d’entêtement aux néologismes créés pour accommoder les personnes non binaires : les « iel », « ille », « frœur » (pour frère/sœur) ou « heureuxe » (pour heureux/heureuse), etc. Cela dit, je ne ferai jamais exprès de mégenrer quelqu’un. Je pratique l’évitement, en me rabattant sur des formulations neutres. C’est d’ailleurs une solution suggérée par les spécialistes de l’écriture non genrée : abandonner les titres de civilité.

Dans le cas de Mx Martine, hélas, on a abandonné la civilité tout court…

Le ressac, sur les réseaux sociaux, a été violent. Une déferlante de haine si terrifiante que l’école s’est sentie obligée d’appeler la police. Ce gâchis ne repose pas uniquement sur les épaules du père complotiste. C’est la faute de plein d’internautes, dont Éric Duhaime, qui a rediffusé la lettre de la directrice d’école sur sa page Facebook sans prendre la peine de masquer le nom de famille de l’enseignante.

Le chef du Parti conservateur du Québec savait parfaitement ce qu’il faisait. Il a instrumentalisé cet enjeu explosif. Il a jeté Mx Martine aux loups du cyberespace.

C’est irresponsable, dangereux et indigne d’un leader politique.

Quoi qu’en disent ceux qui s’énervent le poil des jambes, nous ne sommes pas face à une simple mode ou à une idéologie woke conquérante. Seuls 0,09 % des Québécois s’identifient comme non binaires, selon le plus récent recensement canadien. Tout est sous contrôle. On est loin de la « mixmania ».

Comme dirait Bernard Drainville : « On se calme, là. »

Bien sûr, on peut débattre de la façon dont il faut s’adresser à 0,09 % de la population québécoise. Il me semble pourtant qu’il y a plus urgent. À commencer par s’interroger sur la façon dont trop de trolls hargneux se servent des réseaux sociaux, en meute, pour intimider, pour briser des vies, pour détruire des réputations.

Ça, ça devrait nous faire peur. Pour vrai.

Mais une enseignante non binaire dans une école de la Montérégie ? Ça ne menace personne. Ça n’est pas un complot pour faire disparaître le sexe biologique des hommes et des femmes, ni pour laver le cerveau de vos enfants.

Si vous pensez ça, vous passez clairement trop de temps sur Facebook.