L’embauche d’une enseignante non binaire dans une école primaire de la Montérégie et l’aménagement de toilettes mixtes dans une école secondaire de l’Abitibi-Témiscamingue provoquent un déferlement de commentaires sur les réseaux sociaux. La police a d’ailleurs ouvert une enquête concernant des messages potentiellement haineux ou menaçants.

Ce qu’il faut savoir

  • Une école primaire de la Montérégie compte une enseignante non binaire parmi son corps professoral, cette année. Elle se nomme Mx Martine. Mx (prononcer « mix ») remplace « monsieur » ou « madame ».
  • La lettre envoyée aux parents des élèves de Mx Martine a été partagée sur les réseaux sociaux et a suscité de vives réactions.
  • La police a ouvert une enquête concernant des messages à caractère violent.À Québec, les partis politiques ont condamné les propos haineux qui circulent sur l’internet.

L’école primaire de Richelieu a fait parvenir une lettre aux parents d’élèves de cinquième et de sixième année afin de les informer que leurs enfants auront pour prof Mx Martine une journée par cycle, cette année.

Dans la communication datée du 30 août, la directrice de l’école explique que l’abréviation « Mx » est utilisée devant le nom de l’enseignante au lieu de « monsieur » ou de « madame ». « Mx se prononce “Mix” […] et est employé entre autres pour désigner les personnes non binaires (dont l’identité de genre se situe en dehors du système binaire homme/femme) et les personnes qui préfèrent tout simplement qu’on ne réfère pas à leur genre lorsqu’on s’adresse à elles. »

La directrice souligne que l’enseignante en question invite ses élèves à utiliser le féminin pour parler d’elle et qu’une « discussion sur l’ouverture, les différences, les appellations de genre, etc. », se tiendra à la rentrée.

Or, la lettre, qui était adressée à une poignée de parents, a été publiée sur les réseaux sociaux et a suscité des centaines de commentaires, dont certains ont été jugés inquiétants par la direction de l’école primaire. Celle-ci a contacté les policiers.

« C’était de nature violente, haineuse, diffamatoire et d’une intolérance comme j’en ai rarement vu. Et c’est inacceptable », souligne Marie-Claude Huberdeau, directrice générale du centre de services scolaire (CSS) des Hautes-Rivières. « Mais cette crise-là, qui prend toute la place, c’est une crise externe qui se vit sur les réseaux sociaux », ajoute-t-elle, précisant qu’à part quelques préoccupations soulevées, l’enseignante non binaire a été accueillie positivement par le personnel, les enfants et leurs parents.

La Régie intermunicipale de police Richelieu–Saint-Laurent confirme avoir ouvert une enquête. « Un ou des parents ont partagé la lettre sur les réseaux sociaux et il y a eu un effet boule de neige », confirme Jean-Luc Tremblay, sergent à la prévention de la Régie intermunicipale de police Richelieu–Saint-Laurent. « Dans certains cas, il y avait une agressivité apparente [dans les commentaires], peut-être même de nature criminelle », ajoute-t-il. Des accusations criminelles pourraient être portées contre les auteurs de ces commentaires.

En Abitibi-Témiscamingue, l’école secondaire D’Iberville a de son côté annoncé que des travaux sont en cours afin que les toilettes sur les trois étages de l’établissement deviennent mixtes à la rentrée 2024-2025.

« Sur chaque étage, ce qui était anciennement les blocs sanitaires des filles et les blocs sanitaires des garçons [deviendra] un seul bloc sanitaire mixte. Dans ces blocs sanitaires mixtes se trouveront des cabines entièrement fermées. De plus, une fenêtre sera installée afin d’assurer le bon déroulement », écrit le directeur de l’école dans une lettre datée du 23 août, mais qui circule abondamment sur les réseaux sociaux depuis 24 heures. La lettre a provoqué un tollé, mais aucune plainte n’a été portée à la police dans ce cas.

Un appel au calme

Bernard Drainville, le ministre de l’Éducation, a lancé un appel au calme, jeudi, pour tenter de désamorcer la grogne.

« On se calme, là. Il n’y a pas de raison de commencer à insulter, à intimider et à menacer qui que ce soit », a-t-il dit alors qu’il participait à l’inauguration d’une école à Granby.

« Je vais vous dire que j’ai été un petit peu décontenancé quand j’ai vu cette histoire-là et je n’ai pas de réponse immédiate à vous donner là-dessus », a-t-il ajouté. « Est-ce qu’il faut réfléchir à une façon de nommer ou d’appeler une enseignante ou un membre du personnel scolaire qui ne se considère ni monsieur ni madame ? Bien sûr qu’il faut réfléchir à ça. Et je vais y réfléchir, mais je n’ai pas de réponse immédiate à vous donner là-dessus. »

Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation, a également dénoncé les propos haineux qui circulent abondamment sur le web.

Ça m’inquiète profondément qu’on en soit rendu là. Un tel flot de commentaires haineux n’a pas sa place, ce n’est pas l’exemple d’ouverture et de respect qu’on veut enseigner à nos enfants. Ce dont on a besoin dans les écoles, ce sont de bons profs. Leur identité de genre n’a aucune importance.

Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a aussi tenté de tempérer les excès, mais a indiqué qu’il ne comptait pas utiliser l’abréviation Mx. « S’il vous plaît, ne tombons pas sur des attaques ciblant une personne. On ne veut pas vivre dans ce genre de société. Maintenant, moi, il n’y a personne qui va me contraindre à appeler quelqu’un d’autre “mx”. Je n’ai jamais entendu parler de “mx”. Je pense que la langue française, les conventions sociales ne peuvent pas être imposées par une personne envers tout le monde, constamment », a-t-il dit.

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a quant à lui dénoncé l’utilisation de l’abréviation « mx » devant le prénom de l’enseignante sur sa page Facebook. « Des enfants du primaire se feront expliquer “l’écriture inclusive”… L’enseignant ne peut pas juste se faire appeler Martine, plutôt que Mx Martine ? Le wokisme entre à pleine porte dans les garderies et les écoles. Le CAQ ne fait absolument rien pour ramener le gros bon sens », a-t-il écrit. Sa publication a été partagée plus de 300 fois et commentée à 1000 reprises.

À noter que le Québec est la province canadienne où la plus faible proportion de résidants s’identifie comme non binaires. Lors du recensement de 2021, un peu plus de 6300 Québécois s’étaient décrits ainsi, soit 0,09 % de la population. La moyenne canadienne est plutôt de 0,14 %.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque et de Pierre-André Normandin, La Presse