Un jugement flambant neuf du Montana nous arrive en plein milieu d’un été brûlant.

La quinzaine d’enfants de cet État verdoyant et giboyeux qui poursuivaient leur gouvernement pour cause d’inaction climatique ont gagné leur cause lundi.

C’est une première, parmi toutes les actions en justice entreprises à ce sujet en Europe, au Canada et aux États-Unis.

C’est une victoire symbolique énorme : ces 16 personnes avaient de 2 à 18 ans quand leur poursuite a été déposée il y a trois ans. Lors de l’audience, en juin, une preuve scientifique détaillée a été faite. Des experts ont témoigné pour démontrer l’évidence du réchauffement climatique et le fait qu’il est lié à l’activité humaine, surtout à l’utilisation d’énergie fossile.

Mais on aurait tort de prétendre, comme plusieurs médias ont commencé à le faire, que ce jugement inaugure une nouvelle jurisprudence environnementale radicale.

La juge Kathy Seely n’a pas ordonné au gouverneur du Montana de fermer les nombreuses usines de charbon à ciel ouvert ou les milliers de puits de pétrole de l’État.

La juge s’est limitée à déclarer inconstitutionnelle la loi locale sur la politique énergétique, adoptée pour favoriser l’industrie du pétrole et du charbon. Cette loi interdit aux agences ou aux fonctionnaires chargés d’évaluer l’impact environnemental d’un projet de considérer l’émission de gaz à effet de serre. C’est un facteur mis hors la loi depuis 2011 au Montana…

Le printemps dernier, un jugement a conclu que cette interdiction visait seulement les émissions hors de l’État. Le gouverneur républicain Greg Gianforte a aussitôt fait modifier la loi pour préciser que toute considération de gaz à effet de serre est bel et bien prohibée. On se demande à quoi sert une évaluation environnementale si on ne tient pas compte des gaz à effet de serre, mais bon, on a permis en Gaspésie une cimenterie géante il n’y a pas si longtemps, alors ils ne sont pas les seuls.

Il se trouve cependant que le Montana, enthousiaste à développer l’industrie pétrolière ces dernières années, est aussi un État avant-gardiste en matière de protection, disons, de la « nature ».

En 1972, le Montana a adopté dans sa Constitution un « droit à un environnement sain et propre ».

Le même texte fondamental stipulait nommément que les mineurs ont les mêmes droits que les adultes.

Au Montana comme ici, une loi qui viole un droit garanti par la Constitution peut être invalidée.

La juge Seely a ici conclu que d’empêcher l’agence environnementale de tenir compte de ce qui est la source principale du réchauffement climatique… dans l’évaluation environnementale d’un projet viole clairement le droit de ces jeunes à un environnement sain et propre.

Le jugement a donc une portée limitée : il vise une loi précise et s’appuie sur la Constitution du seul Montana.

N’empêche, une preuve abondante a été faite devant la cour. La juge a noté l’augmentation alarmante de la température au Montana… et l’accélération du rythme d’augmentation.

L’État a vu le nombre de ses fameux glaciers disparaître à 82 % (70 % en superficie) entre 1850 et 2015. La saison des incendies de forêt est deux fois plus longue qu’il y a 40 ans. Il y a plus de pluie en automne – plus souvent catastrophique –, mais moins de neige en hiver. Or, les montagnes du Montana sont un immense réservoir pour plusieurs grandes rivières (Saskatchewan, Yellowstone, etc.), dont le niveau a diminué. Cela a un impact sur les lacs. Sur les forêts. Sur les animaux.

Les jeunes ont montré comment leur vie – à la ferme ou dans la nature – a changé, et comment leur santé physique et psychologique en est affectée.

Le Québec a introduit en 2006 dans sa Charte le droit de « vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité ».

Est-ce qu’on pourrait s’en servir pour poursuivre le gouvernement ?

Pas plus tard que l’automne dernier, la Cour suprême du Canada refusait d’entendre une action collective entreprise à Montréal contre le gouvernement fédéral par un groupe prétendant représenter tous les gens de « 35 ans et moins » victimes du manque d’ambition environnementale du gouvernement. L’affaire, mal ficelée, avait été rejetée par la Cour supérieure et la Cour d’appel. Elle s’appuyait notamment sur ce droit à l’environnement.

Comme quoi on ne fait pas de bonne littérature, ni de bons jugements, uniquement avec des bons sentiments.

Il est très malaisé pour les tribunaux de contrôler la légalité de l’inaction d’un gouvernement, avait dit la Cour d’appel. On entre carrément dans le territoire politique. Les juges ne sont pas là pour faire les lois ou choisir les meilleures politiques. Leur job se borne à vérifier si les lois du Parlement dépassent les limites de la Constitution. Le judiciaire est aussi un lieu d’action politique, et ce jugement en est un exemple. Mais ultimement, ça doit passer par les Parlements.

Dans le cas du Montana, c’est une loi qui était attaquée, pas une inaction générale.

Le gouvernement local parle déjà de militantisme judiciaire et annonce un appel. C’est pourtant la même autorité qui a inscrit ce droit à l’environnement dans la Constitution de l’État. La juge Seely vient de dire que ces mots ont un sens, que ce droit existe.