La proposition était surprenante, comme sortie de nulle part. Elle donnait l’impression que Martine Biron l’avait trouvée dans une boîte de Cracker Jack. Vraiment, il fallait « sacraliser » le droit à l’avortement au Québec ? Le « visser dans le mur » pour éviter qu’il nous glisse entre les doigts ?

Souvenez-vous, c’était le 24 avril. La ministre responsable de la Condition féminine estimait qu’il fallait réaffirmer le droit des Québécoises à se faire avorter. Elle projetait même de l’inscrire dans la Charte des droits et libertés de la personne.

Pour mémoire, le 24 avril, c’était cinq jours après l’embarrassant revirement du gouvernement sur le troisième lien. La ministre Biron a eu beau jurer que son annonce n’était pas une tentative de diversion… ça en avait toutes les apparences.

Parce que, non, il n’y avait pas péril en la demeure. La très grande majorité des Québécois s’entendent là-dessus : les femmes ont le droit de disposer de leurs corps. Le débat est clos. Depuis 35 ans.

La ministre donnait donc l’impression de s’attaquer à des moulins à vent. Elle faisait dans le marketing plus que dans l’action concrète. Remarquez, ça ne lui coûtait pas cher : personne n’est contre la tarte aux pommes.

Deux mois plus tard, Martine Biron se rend compte que cette histoire risque malheureusement de lui coûter plus cher que prévu.

Depuis quelque temps, la ministre sonde ses appuis. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’en trouve pas beaucoup. Elle a plutôt réussi l’exploit de se mettre à dos le Barreau du Québec, la Ligue des droits et libertés et à peu près tous les groupes féministes que compte la province…

« Une loi sur l’avortement ? Merci, mais non merci, Madame la Ministre », ont écrit dans Le Devoir1 les représentants d’une vingtaine d’organismes pour la défense des droits des femmes.

Une loi sur l’avortement, préviennent-ils, serait terriblement contre-productive.

Personne ne doute des bonnes intentions de Martine Biron.

Mais légiférer sur l’avortement au Canada, c’est l’équivalent de nourrir des animaux sauvages en forêt : une fausse bonne idée. On pense les aider, mais on risque de rompre le fragile équilibre de la nature.

De la même façon, encadrer le droit à l’avortement dans l’espoir de le renforcer risque plutôt de l’affaiblir, explique Louise Langevin, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval.

Ouvrir ce débat, craint-elle, c’est ouvrir non pas la boîte de Cracker Jack, mais celle de Pandore. « On ne sait pas ce que ça va donner. J’ai peur qu’on finisse avec moins. »

Parce que voilà le problème : légiférer pour encadrer un droit, c’est aussi permettre d’en dresser les limites.

Le débat risque de déraper en commission parlementaire. Des groupes antichoix en profiteront pour se mobiliser et pour attaquer la validité constitutionnelle de la loi, ajoute MLangevin. « Ça va se ramasser en Cour suprême. » Elle prévient : ne réveillons pas l’ours qui dort…

Il y a un an aujourd’hui, la Cour suprême des États-Unis provoquait un séisme politique en remettant en cause le droit fédéral des Américaines à avorter.

L’onde de choc n’a pas fini de se faire sentir. Aujourd’hui, 25 millions d’Américaines en âge de procréer vivent dans des États qui interdisent l’avortement ou qui en limitent la possibilité.

Ce qui se passe là-bas donne le frisson. Des femmes affluent pour se faire avorter dans les États qui le permettent encore. D’autres n’en ont pas les moyens. Un climat de peur s’est instauré. Des femmes et des médecins risquent la prison.

Martine Biron veut à tout prix éviter un tel scénario chez nous. C’est possible, en théorie. Ne dit-on pas que lorsque les États-Unis éternuent, le Canada attrape le rhume ? Les guerres culturelles qui font rage là-bas finissent trop souvent par éclater chez nous.

Mais nous ne sommes pas aux États-Unis. La Cour suprême, au Canada, n’est peut-être pas parfaite, mais elle est beaucoup moins politisée que chez nos voisins du Sud, souligne MLangevin.

Surtout, contrairement à ce que semble croire la ministre, il n’y a pas de « vide législatif » à combler en matière d’avortement. Depuis l’arrêt Morgentaler en 1988, l’autonomie procréative des femmes a été consacrée par trois autres décisions de la Cour suprême, rappelle la professeure. « Ce droit est bien protégé au Canada. »

Mercredi, Martine Biron a laissé entendre qu’elle pourrait renoncer à une loi sur l’avortement. Elle a repoussé à l’automne des rencontres prévues avec des groupes féministes qui s’opposent à cette idée.

Peu à peu, le projet se dégonfle. Tant mieux.

Au retour des vacances, la ministre pourra concentrer ses efforts sur ce qui préoccupe réellement les groupes féministes : l’accessibilité. Il faut en faire plus, pour qu’aucune Québécoise n’ait à attendre pendant des semaines – ou à rouler pendant des heures – avant de pouvoir interrompre sa grossesse. Il faut plus d’action, et moins de marketing.

1. Lisez la lettre ouverte