Attendez, j’ai dû en rater un bout. J’avais cru comprendre que la laïcité, c’était sacré, au Québec. Je pensais que nos parents avaient rejeté la religion catholique en masse, et que ce rejet justifiait notre détermination à éradiquer le religieux de l’espace public.

Il me semblait pourtant avoir entendu que, si les Québécois tenaient tant au principe de la laïcité, c’était parce qu’ils se rappelaient trop bien avoir vécu sous le joug de l’Église. Ça n’avait rien, mais alors rien à voir avec une quelconque frilosité ambiante. C’était historique.

Et voilà qu’en ce magnifique lundi de Pâques, le chef de la nation laïque du Québec s’est fendu d’un gazouillis ému relayant l’« Éloge de notre vieux fond catholique » pondu par le chroniqueur Mathieu Bock-Côté dans Le Journal de Montréal.

Il n’en fallait pas davantage pour mettre le feu à la twittosphère.

L’ironie était formidable. Le gouvernement de François Legault ne venait-il pas de gronder des écoles pour avoir commis un crime de lèse-laïcité en laissant des élèves musulmans prier dans des locaux vacants, sur l’heure du midi ?

Plus que de l’ironie, beaucoup y ont vu de l’hypocrisie.

Le premier ministre a-t-il gaffé ? A-t-il plutôt allumé la mèche en sachant pertinemment que le Tout-Twitter passerait son lundi de congé à s’entredéchirer ? C’est ça, diviser pour régner ?

Franchement, je n’en sais rien. Mais tenons pour acquis que Legault n’est pas Machiavel. Admettons qu’il souscrit à cette affirmation, citée dans son gazouillis : « Le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture de la solidarité qui nous distingue à l’échelle continentale. »

J’ai demandé à un sociologue, à un politologue et à un historien si c’était bel et bien le cas. Je pensais que la réponse serait simple… mais non. Pas vraiment. Ça dépend de quoi on parle, au juste.

« Les questions qui touchent à la solidarité, aux dons et à la justice sociale, en matière de religion, c’est complexe parce que cela varie selon les indicateurs que l’on choisit, en plus de varier historiquement », prévient Martin Meunier, expert en sociologie du catholicisme contemporain au Québec et au Canada.

Aucune étude n’a pu déterminer lesquelles, des sociétés protestantes ou catholiques, étaient plus solidaires, un concept par ailleurs difficile à mesurer, ajoute le sociologue de l’Université d’Ottawa. « Chacun a raison dans son coin en prenant un indicateur plutôt qu’un autre, et en parlant d’une époque plutôt qu’une autre. »

Olivier Jacques, politologue à l’Université de Montréal, estime que François Legault a raison d’affirmer que la société québécoise actuelle est plus solidaire que d’autres. Mais pas à cause de son vieux fond catholique. Au contraire, elle pencherait vers la social-démocratie en dépit de son passé religieux.

« Ce qu’on observe clairement, c’est que l’appui à la redistribution des revenus et à l’intervention de l’État est plus élevé au Québec que dans les autres provinces », explique le politologue.

Son hypothèse, c’est que cette solidarité accrue s’expliquerait en partie par l’athéisme des Québécois.

« On sait qu’en général, l’appui envers la redistribution est plus faible chez les croyants, qui comptent sur leur Église et sur leur réseau d’entraide pour s’occuper d’eux s’ils tombent malades ou s’ils perdent leurs revenus. Les non-religieux, qui n’ont pas ce réseau, comptent sur l’État. »

Or, les Québécois sont moins croyants que d’autres sociétés nord-américaines, rappelle Olivier Jacques. Il testera son hypothèse dans un article scientifique, qu’il présentera au prochain congrès de l’Acfas.

D’ici là, une chose est sûre : la solidarité n’est pas une valeur unique au catholicisme. Le Saint-Siège n’a pas donné naissance à la social-démocratie. Et le Québec n’a pas inventé le concept d’État providence. En fait, il a plutôt été à la traîne des grands mouvements de solidarité du Canada anglais. Faut-il rappeler la mémoire de Tommy Douglas ? Rappeler que l’assurance-maladie nous vient de la Saskatchewan ?

« Maurice Duplessis a retardé de 15 ans l’avènement d’un État providence parce qu’il communiait à cette philosophie libérale où l’État doit le moins possible s’ingérer dans les questions sociales et économiques », rappelle l’historien Éric Bédard, professeur à l’Université TÉLUQ.

Le chef de l’Union nationale, premier ministre de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959, s’en remettait à l’Église pour assurer l’éducation, les soins de santé et le soutien aux indigents. « Dans presque toutes les sociétés occidentales, la rupture s’est faite après la Seconde Guerre mondiale. » Mais le Québec de Duplessis a résisté. Il lui faudra une révolution (tranquille) pour rattraper son retard.

Ça ne veut pas dire que le catholicisme n’a rien apporté de bon à la société québécoise. « C’est une question d’interprétation », avance prudemment Éric Bédard. Il rappelle que les caisses populaires ont été créées dans des sous-sols d’église et que des religieuses ont été des modèles de solidarité : Marguerite D’Youville, Émilie Gamelin, Marie Gérin-Lajoie…

« De grandes initiatives [religieuses] de solidarité ont permis aux Québécois d’être soignés, éduqués et pris en charge. […] Que cette société où l’Église avait un rôle si important soit devenue la plus sociale-démocrate, oui, peut-être qu’il y a un parallèle, au sens suivant : l’État a pris le relais de l’Église. »

Alors, ce vieux fond catho, c’est bon ou mauvais ?

Faites votre choix : il y en a pour tous les goûts. Au-delà de cette question aux réponses multiples, Martin Meunier ne peut s’empêcher d’observer une « instrumentalisation politique du religieux » étonnante dans le contexte du débat sur la laïcité.

Il s’étonne presque autant de la « réaction épidermique » des Québécois au tweet « somme toute insignifiant » du premier ministre.

« La simple évocation d’un caractère positif qui pourrait être attribué au patrimoine catholique est vue comme critiquable par la majorité des gens. Pour le sociologue que je suis, ça montre que le rapport des Québécois au catholicisme est loin d’être réglé… »