Le départ du cardinal pourrait marquer un tournant vers une Église moins conservatrice au Canada.

C’est le 12 avril que le cardinal québécois Marc Ouellet cessera officiellement de diriger la Congrégation pour les évêques. Sous sa direction, l’épiscopat canadien est devenu plus conservateur.

« Les évêques nommés dans la dernière décennie ont été ordonnés prêtres sous Jean-Paul II, et représentent une génération plus conservatrice », explique Michael Coren, un prêtre anglican de Toronto qui vient de publier le livre The Rebel Christ et qui était jusqu’à récemment catholique. « On parle moins de Marc Ouellet au Canada anglais qu’au Québec, mais il est certain qu’il a continué cette tendance conservatrice. »

Thomas Reese, un jésuite qui enseigne à l’Université de Santa Clara, en Californie, estime que les nominations d’évêques de Mgr Ouellet ont miné le projet du pape François de lutter contre le « cléricalisme » dans l’Église. « François veut une Église ouverte, dit le père Reese. Mais très souvent les évêques nommés dans la dernière décennie défendent l’institution de l’Église contre le monde, au lieu de servir les fidèles. »

La même tendance s’observe au Québec, selon Marie-Andrée Roy, sociologue des religions à l’UQAM.

Je pense qu’on peut dire que le cardinal Ouellet, en tant que préfet de la Congrégation des évêques, a favorisé la nomination d’évêques conservateurs. Cela dit, il ne travaille pas seul, le pape a le dernier mot.

Marie-Andrée Roy, sociologue des religions à l’UQAM

Les évêques nommés après l’élection comme pape de François en 2013 sont différents de ceux choisis entre 2010, année d’entrée en fonction de Mgr Ouellet à la Congrégation pour les évêques, et 2013. « On voit une différence particulièrement dans les dernières années, parce qu’à l’arrivée de François, il y avait beaucoup de processus de nomination qui étaient déjà entamés », estime Gilles Routhier, théologien à l’Université Laval.

Selon M. Routhier, une des nominations représentatives de Mgr Ouellet sous Benoît XVI est celle de Christian Lépine, archevêque de Montréal depuis 2012, saluée par le mouvement antiavortement et dénoncée par les groupes de femmes. Celle de Martin Laliberté, ancien missionnaire, en 2021 à Trois-Rivières serait représentative des nominations de Mgr Ouellet sous François.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’archevêque de Montréal, Christian Lépine

Frank Leo

Marc Ouellet lui-même était vu, lors de sa nomination comme évêque de Québec en 2002, comme un conservateur venu ramener à l’ordre l’épiscopat québécois. Il est donc curieux que la fin de sa carrière au Vatican soit marquée par une autre nomination dans un grand diocèse, qui semble marquer un vent de changement : la nomination du Montréalais Frank Leo à Toronto.

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Frank Leo, récemment nommé archevêque de Toronto

« Je dirais que les évêques du Canada anglais ont tous été surpris de voir qu’on ne choisissait pas parmi leurs rangs pour diriger le plus grand diocèse au pays », dit Darren Dias, un dominicain qui enseigne à l’École de théologie de Toronto.

Ça semble certainement envoyer un message qu’il va y avoir un changement dans l’épiscopat canadien, qui est généralement conservateur.

Darren Dias, un dominicain enseignant à l’École de théologie de Toronto

Carl O’Byrne, coordonnateur à Inclusive Ministries, un organisme jésuite qui sert les besoins spirituels de la diversité sexuelle, a espoir que Mgr Leo se révélera moins conservateur que son prédécesseur, Thomas Collins. « Dans une entrevue qu’il a donnée avant sa nomination, il parlait du document Lumen Gentium de Paul VI [pape de 1963 à 1978], dit M. O’Byrne. Généralement, on estime que Lumen Gentium considère que l’Église est au service du peuple. »

Marie-Andrée Roy est moins optimiste quant à Mgr Leo : quand il était secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques du Canada, il a eu de mauvaises relations avec des religieuses. « Et il est beaucoup dans le culte de la Vierge Marie, note Mme Roy. Plus on aime la Vierge, plus on se méfie des femmes ordinaires. Pour moi, c’est un hyperconservateur. »

Le moment de la nomination de Mgr Leo est aussi surprenant : elle est survenue deux semaines après l’annonce de la démission de Mgr Ouellet, en janvier dernier. « Le processus de nomination d’un évêque implique de longues consultations, donc il est impossible que la nomination de Mgr Leo ait été décidée sur un coup de tête, dit le père Dias. Mais sa nomination aurait très bien pu être annoncée plus tard, pour éviter qu’on fasse le lien entre les deux évènements. »

M. O’Byrne estime lui aussi que la quasi-simultanéité des annonces de la nomination de Mgr Leo et de la démission de Mgr Ouellet est étrange. « La démission de Mgr Ouellet ne prenait effet qu’en avril, alors il semble bien que ces annonces aient été faites de manière rapprochée de manière intentionnelle, dit M. O’Byrne. Ça alimente la thèse que la nomination de Mgr Leo est un message à l’épiscopat canadien que l’avenir est aux évêques différents, moins conservateurs. »

Si Mgr Leo s’avère bel et bien moins conservateur que ses confrères canadiens, sa nomination pourrait être le miroir de la nomination de Mgr Ouellet à Québec en 2002, selon M. Routhier, de l’Université Laval : Mgr Ouellet était un conservateur venu mettre au pas un épiscopat trop progressiste, alors que Mgr Leo tranche avec un épiscopat jugé trop conservateur par le pape François. « Il faut voir comment agira Mgr Leo comme évêque, mais le parallèle est intéressant », dit M. Routhier.

En savoir plus
  • 2200
    Nombre d’évêques nommés par le Vatican depuis que Marc Ouellet dirige la Congégation pour les évêques
    SOURCE : annuaire pontifical
  • 5500
    Nombre d’évêques catholiques dans le monde
    SOURCE : annuaire pontifical