Quand j’ai enquêté sur les salades du chef Giovanni Apollo, en 2017, ses anciens collaborateurs m’avaient raconté qu’il mettait parfois de la viande de gnou au menu de ses restaurants. En réalité, c’était du cheval. Son bison d’Amérique ? Du bœuf bien ordinaire. Son crabe importé d’Afrique ? En solde congelé chez Club Price…

Remarquez, ses clients trouvaient ça bien bon pareil. Succulent, même. Ce n’était pas ça, le point.

L’anecdote m’est revenue en tête en lisant sur la débâcle du populaire historien Laurent Turcot, accusé de plagiat dans une série de reportages accablants diffusés depuis près d’un an par Le Journal de Montréal1.

Beaucoup de gens – et d’institutions – ont pris la défense de Laurent Turcot. Vrai, l’historien communique bien. Vrai aussi, il est enthousiaste et sympathique. Bref, c’est un vulgarisateur de talent, qui a su donner le goût de l’histoire à bien des Québécois. Ce n’est pas rien.

Malheureusement, ce n’est pas ça, le point.

Depuis avril 2022, Le Journal de Montréal a répertorié près de 150 cas de plagiat dans les livres de Laurent Turcot, dans les capsules vidéo diffusées sur sa populaire chaîne YouTube et dans la balado qu’il anime à Radio-Canada. Des phrases, voire des paragraphes entiers repiqués ailleurs, puis reproduits mot pour mot, sans que le crédit soit accordé aux auteurs des œuvres originales.

Parmi eux, Monique Tremblay Giroux, une historienne amatrice qui a mis trois ans à documenter les ravages de la grippe espagnole au Québec. Une partie du fruit de ses recherches s’est retrouvé dans une capsule vidéo de Laurent Turcot, sans que son nom y soit mentionné.

« La référence a été perdue dans le transfert du texte écrit par le collaborateur à la plateforme technique de YouTube », s’est défendu l’historien, lundi, sur sa page Facebook.

C’est la version moderne d’elle s’est perdue dans la malle…

Notez qu’on a fini par retrouver la référence et par l’afficher au bas de la capsule. M. Turcot a contacté Mme Tremblay Giroux pour lui présenter ses excuses, qu’elle a acceptées. Mais, référence ou pas, c’est surtout l’usage très libéral du copier-coller, dans cette capsule et ailleurs, qui provoque un malaise.

En entrevue, mardi, Laurent Turcot m’a offert une panoplie d’explications. Comme celle-ci, qu’il avait donnée la veille sur Facebook : « Les logiciels anti-plagiat sont faits avec l’intelligence artificielle et ne tiennent pas toujours compte des nuances nécessaires pour comprendre le type de travail qui est réalisé ».

« Mon but, c’est de faire de la vulgarisation, m’a-t-il dit. Je raconte au plus grand nombre ce que les chercheurs ont fait. Je ne peux pas m’approprier des idées parce que, par essence, ce sont celles des autres, que je rassemble pour donner quelque chose d’intelligible. »

Je veux bien le croire, mais ça n’excuse pas le copier-coller. Vulgariser ne donne pas une licence pour reprendre à son compte le travail des autres.

Ça ne rend pas automatiquement les articles libres de droits. Ni les idées interchangeables.

Ce qui m’étonne, dans cette triste affaire, c’est l’empressement qu’ont mis les institutions à défendre Laurent Turcot. Des institutions pour qui la propriété intellectuelle constitue pourtant le fonds de commerce : l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), les maisons d’édition Gallimard et Hurtubise, Radio-Canada.

Pour les universitaires, les écrivains et les journalistes, le plagiat représente un péché capital. Mais, face au déluge de cas exposés par Le Journal de Montréal, on minimise. On tempère. On cherche des excuses. Si on a fait sauter les guillemets dans les bouquins, disent les éditeurs, c’est pour faciliter la lecture. Si on a omis les références dans la balado, soutient Radio-Canada, c’est pour ne pas nuire à l’écoute…

L’UQTR, de son côté, a bien conclu à un « manquement à la conduite responsable en recherche », mais n’a pas sanctionné pour autant Laurent Turcot, estimant que le plagiat n’avait pas été utilisé « de façon délibérée et malveillante », selon un rapport d’enquête déposé en octobre 2021.

C’était six mois avant qu’Antoine Robitaille ne publie un premier reportage dans Le Journal de Montréal. Le chroniqueur m’a juré mardi qu’il n’avait jamais cherché à savoir d’où provenait l’enveloppe brune à l’origine de son enquête.

L’UQTR, elle, a été plus curieuse.

Elle s’est lancée dans une chasse aux sources. Elle a donné le mandat à sa directrice du service des relations du travail de trouver l’origine de la fuite. Et elle l’a trouvée : Thierry Nootens, un collègue de Laurent Turcot.

Le 5 mai 2022, l’UQTR a convoqué M. Nootens, soutenant dans une lettre qu’elle avait « des motifs de croire [qu’il aurait] transmis à des tiers des allégations à l’endroit d’un collègue de manière malveillante ».

Le lendemain, elle l’a suspendu.

Le syndicat des profs de l’UQTR conteste la suspension de Thierry Nootens. Il prétend que l’Université n’aurait jamais dû mener cette chasse aux lanceurs d’alerte, en principe protégés par la loi. Le grief sera entendu en décembre.

Pour l’UQTR, Thierry Nootens a plutôt enfreint les règles en matière de confidentialité et de bonne foi.

Sans conclure sur le fond, l’arbitre André G. Lavoie a estimé, dans une décision interlocutoire rendue en juillet, que la suspension de Thierry Nootens n’était pas exagérée. (Depuis, le professeur a réintégré ses fonctions.)

L’arbitre a écrit que « les allégations de malveillance et de mauvaise foi » de la part de M. Nootens à l’égard de M. Turcot étaient « sérieuses » et méritaient que l’UQTR fasse toute la lumière à ce sujet.

D’autant plus sérieuses, a noté l’arbitre, que l’enquête interne laissait croire que M. Nootens « aurait eu des comportements pouvant être assimilés à du harcèlement psychologique » à l’endroit de son collègue.

Le porte-parole de l’UQTR, Thierry Nootens et Laurent Turcot ont refusé de commenter, se disant tenus par des règles de confidentialité.

Sans entrer dans les détails, Laurent Turcot dénonce depuis le début une campagne vindicative et acharnée pour le détruire.

Cela, l’histoire le dira. Ou, plus précisément, l’audience du tribunal d’arbitrage. On en saura davantage, en décembre, sur les racines de ce conflit qui pourrit depuis des années à Trois-Rivières.

En attendant, difficile de n’éprouver aucune sympathie pour Laurent Turcot. « J’ai mes enfants, ma copine, mes parents… cela a été très, très dur. Un moment donné, quand il y a une campagne contre nous, ça nous rentre dedans », m’a-t-il confié mardi, la voix brisée par l’émotion.

Je lui ai soumis qu’il était peut-être victime de sa popularité. Qu’à trop vouloir en faire, les livres, les vidéos, les balados, les émissions de télé, alouette, il s’était peut-être mis à tourner les coins ronds…

Il n’a pas nié avoir commis des « erreurs de bonne foi », mais a refusé d’admettre avoir plagié.

Le problème, c’est que ça commence à faire beaucoup d’omissions bien involontaires de sa part.

Beaucoup de guillemets qui sautent par erreur, de logiciels anti-plagiat mal adaptés aux façons de faire modernes, de collaborateurs étourdis, de collègues jaloux, de journaleux à la recherche de clics…

Beaucoup trop pour un historien qui a gagné la confiance d’un si vaste public.

1 Lisez notre couverture de l’affaire : « Cas de plagiat allégués : Laurent Turcot défend sa démarche sur YouTube »