« Ils ne m’ont pas eue », lance une Safia Nolin plus soulagée que triomphante, au sujet de tout ce qu’elle a affronté. En entrevue, la chanteuse nous explique pourquoi elle a quitté l’étiquette avec laquelle elle travaillait depuis ses débuts et raconte comment certains évènements, survenus l’été dernier, ont failli avoir raison de son étincelle.

La nouvelle chanson de Safia Nolin s’intitule Carrie, une référence au mythique film d’horreur de 1976 dans lequel le personnage qu’incarne Sissy Spacek est tourmenté par des camarades de classe d’une extraordinaire perfidie.

« Comme Carrie, je me sens parfois comme la fille à qui on fait croire qu’elle est comme les autres, qui est invitée au bal par le beau dude, qui devient reine du bal, mais pour qui ça se finit ultra fuckin mal », confie la chanteuse que La Presse a jointe à Paris, un sentiment que reprend presque mot pour mot le texte de cette plongée dans les ténèbres d’une vie vécue dans l’angoisse que même ses amis les plus proches ne sachent jamais l’aimer entièrement, sans un peu rire d’elle.

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En février 2022, Safia Nolin a franchi le cap des 30 ans, l’occasion d’une importante réflexion, dit-elle, quant à ce qui la rend réellement heureuse. Réponse : « Ce qui me rend heureuse, c’est écrire des tounes. » Dans la langue du Limoilou de sa jeunesse, ou dans celle de Phoebe Bridgers, comme c’est le cas de cette nouvelle sortie. « Et je m’en fous si les gens me traitent de traître à ma nation », s’exclame-t-elle en riant, le mécanisme d’autodéfense visiblement bien huilé. Elle en a vu d’autres.

Face à l’empire

Ses chansons, Safia Nolin a pour l’instant envie de les offrir à la pièce. C’est en grande partie ce qui explique son divorce d’avec l’étiquette Bonsound, au sein de laquelle s’est amorcée sa carrière en 2015.

Je me sens enfermée par comment fonctionne l’industrie du disque. Les cycles d’albums, ça m’étouffe et ne me rend pas créative.

Safia Nolin

D’où cette décision de tout faire elle-même, ou du moins, de devenir sa propre productrice et de payer de sa poche tous les intervenants derrière la création et la mise en marché des chansons qui paraîtront au cours des prochains mois.

En février 2022, dans une lettre adressée au Journal de Montréal ainsi qu’à ses collaborateurs Sophie Durocher et Richard Martineau, Bonsound décriait « des chroniques dans lesquelles vous l’intimidez au moindre commentaire qu’elle émet ».

« Je remercie Bonsound d’avoir fait ça, mieux vaut tard que jamais, mais c’était quand même un peu tard », observe aujourd’hui Safia. « C’était la première fois qu’ils se positionnaient publiquement, mais je leur avais déjà demandé de le faire dans le passé. »

Le mois suivant, en mars 2022, l’autrice-compositrice retirait sa musique de la plateforme QUB Musique, propriété de Québecor, une décision qui, l’imaginait-elle, ferait boule de neige, comme lorsque Neil Young, pour d’autres raisons, avait soustrait son catalogue de Spotify. Seul le chanteur domlebo lui aura emboîté le pas.

« Peut-être que les gens vont me trouver dure, et je sais que j’ai pris cette décision-là seule, comme une grande fille, mais je m’attendais à avoir des amis qui suivent, pour que ça ait un poids symbolique plus fort. C’est ça, mon problème : je fais souvent des moves en me disant : “Je vais aller au bat pour moi, mais aussi pour les autres”, et après ça je me ramasse toute seule dans la marde. »

On ne lui a jamais dit ainsi, mais Safia Nolin a parfois eu l’impression que sa présence au sein de l’écurie Bonsound rendait les choses « compliquées ». « Un label, ça travaille avec plein d’artistes et toi, si tu te mets à dos un média, ça peut désavantager tous les artistes du label. Sans que personne te le fasse sentir, tu le sens pareil. Là, maintenant, les décisions que je prends n’affectent que moi et c’est ce que je voulais. »

Des petits bouts de feu

En octobre 2021, Safia Nolin a confié à notre collègue Charles-Éric Blais-Poulin que sa blonde lui avait un jour dit, alors que ses réseaux sociaux étaient secoués par un torrent de messages hargneux, que « l’affaire la plus triste au monde, c’est de voir [son] étincelle qui est en train de s’éteindre ». Comment se porte donc son étincelle ?

« Elle va et elle vient, mais elle est là. » L’été dernier, sa flamme a pourtant bien failli s’éteindre pour de bon, à la suite d’une série d’évènements pénibles. Aux Francos, lors du spectacle de Koriass auquel elle participait, Safia Nolin a été accueillie par des huées. Des extraits de ses concerts au Festival d’été de Québec et à Osheaga, sur lesquels on voit son visage crispé par l’intensité, ont aussi circulé sur TikTok, accompagnés de commentaires désobligeants.

Toujours l’été dernier, durant un passage de son spectacle où Safia porte une lampe frontale lui permettant de voir distinctement les membres du public, deux employés d’une salle où elle jouait, et qu’elle préfère ne pas nommer, lui ont présenté des doigts d’honneur.

« C’est une des affaires les plus traumatisantes que j’ai vécues de toute ma vie », se souvient-elle en étouffant un rire de nervosité. « J’ai arrêté de chanter, je suis allée pleurer dans les toilettes pendant 25 minutes et j’ai fini le show avec des lunettes de soleil. » Pourquoi ne pas en avoir parlé publiquement ? « Parce que je ne voulais pas donner des idées au monde et aussi parce que je sais qu’on va encore dire que je me pose en victime. »

« Les gens pensent que je suis parano quand je dis qu’il faudrait parler à la sécurité dans les salles et je comprends mes proches de ne pas avoir envie de me dire que oui, ça se peut que quelqu’un entre dans une salle pour me traiter de grosse vache, poursuit-elle. Mais je reçois des menaces de mort et ça me stresse. »

Elle ajoute cette phrase, sur un ton d’un calme imperturbable, permettant de bien saisir à quel point cette violence est devenue l’ordinaire de son quotidien : « Au final, personne ne m’a tuée, l’été dernier, mais il y a quand même tout ça qui m’est arrivé. »

Installée à Paris depuis quelques mois, la Québécoise espère fort que son retour dans les médias ne soulèvera pas un nouveau déferlement de haine. Elle serait parfaitement sereine, jure-t-elle, si sa carrière se déployait davantage en marge de la culture de masse.

« Mon but, ce n’est pas de remplir la salle Wilfrid-Pelletier 25 soirs, mon but, c’est d’être bien, ne plus être stressée, anxieuse. J’essaie de protéger mon étincelle en allant porter des petits bouts de feu un peu partout. » Une chanson à la fois.

Voyez le vidéoclip de la chanson Carrie