(Québec) Des « centaines de millions » seraient disponibles en ce moment même pour bâtir des logements sociaux et abordables au Québec, mais ces sommes sont « gelées dans des affaires qui n’avancent pas ».

« Il y en a, de l’argent », lance la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, que j’ai rencontrée il y a quelques jours à son bureau de Québec.

Ses constats sont tranchants. Il y a une « crise » du logement abordable au Québec, les projets ne sortent pas de terre assez vite, et les façons de faire en place depuis des décennies ne tiennent plus la route.

Son gouvernement entend suivre « de beaucoup plus près » l’évolution des projets d’habitation financés par les fonds publics.

Il mettra au rancart le programme AccèsLogis, créé en 1997, m’a-t-elle confié.

Québec a aussi lancé un audit externe pour vérifier de quelle façon la Ville de Montréal utilise les dizaines de millions qui lui sont attribués pour construire des logements sociaux, dans le cadre d’une entente signée en 2018. Les conclusions de l’exercice seront connues dans quelques semaines.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau

« La manière dont ça fonctionnait avant, ça ne peut plus être celle-là », résume la comptable de formation, qui travaillait en immobilier commercial avant son élection en octobre dernier au nord de Montréal.

De nombreux grands changements se préparent.

Le principal : la disparition, à terme, d’AccèsLogis. Ce programme est le principal pourvoyeur de fonds en logement social au Québec depuis un quart de siècle. Il offre des subventions et des prêts à différents promoteurs, comme des groupes de ressources techniques (GRT), qui construisent ensuite des projets aux quatre coins de la province.

Un programme qui est loin d’avoir rempli toutes ses promesses, dit la ministre.

Il y a plein de monde qui ne sont pas plus encouragés qu’il faut à ce qu’il y ait de l’efficacité dans cette approche-là. C’est un peu un free-for-all, où tout le monde dépose [son projet], ça prendra le temps que ça prendra, et ça coûtera le prix que ça coûtera.

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation

L’un des principaux problèmes d’Accès-Logis, selon la ministre, est la lenteur avec laquelle les projets y cheminent. Une fois les sommes attribuées à un GRT, il peut s’écouler cinq, six ou sept ans avant la première pelletée de terre, déplore-t-elle. Résultat : « des centaines de millions » sont aujourd’hui « gelés » sans que rien ne bouge sur le terrain.

« Au niveau de la Société d’habitation du Québec (SHQ), il y a peut-être des processus qui n’étaient pas aussi efficaces qu’ils auraient pu l’être, mais au niveau des GRT, le rythme était ce qu’il était. Si tu n’as pas d’obligation de sortir ton projet à l’intérieur d’une période X, c’est quoi, ton incitatif ? »

Québec entend financer une bonne partie des 6652 logements qui sont toujours en phase de « planification » dans le cadre d’AccèsLogis, indique-t-elle. Une fois que ces arrérages auront été évacués, basta.

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Le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), lancé il y a un an, prendra officiellement le relais. L’un de ses grands avantages est qu’il fixe des délais plus précis – et serrés – pour le démarrage des projets, estime France-Élaine Duranceau.

« Ce programme-là, il est venu justement corriger les lacunes de l’autre, c’est-à-dire que si ton projet ne sort pas en dedans de 12 mois, on retire les unités, puis on les donne à quelqu’un d’autre qui, lui, est prêt à sortir », explique-t-elle.

Selon la ministre, le PHAQ « impose plus de rigueur, plus d’efficience », contrairement à AccèsLogis qui était « un peu comme une boîte noire ».

Cette opacité a aussi été relevée par le Vérificateur général du Québec en 2020 dans un rapport décapant1. Il y déplorait entre autres que la SHQ, gestionnaire d’AccèsLogis, n’effectue « aucune vérification de l’intégrité et de l’indépendance des organismes développeurs ».

Le PHAQ devrait offrir davantage de transparence, si l’on se fie à la ministre. Un « tableau de bord » permettra bientôt de suivre le degré d’avancement des projets financés par les fonds publics.

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Les changements que m’a confirmés France-Élaine Duranceau risquent de faire des flammèches dans le milieu de l’habitation communautaire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau

La distinction entre logement social et abordable, souvent confuse, suscitera sans aucun doute des débats corsés.

Beaucoup sont très attachés à AccèsLogis et doutent que le PHAQ permette de créer des logements vraiment abordables à long terme pour les ménages à faible revenu. Ils voient aussi d’un œil circonspect la plus grande place faite au secteur privé dans le cadre du nouveau programme.

Québec veut multiplier les partenariats de toutes sortes, à l’image de ceux déjà conclus avec Desjardins, avec le Fonds de solidarité FTQ et avec Fondaction, pour construire plus vite des logements abordables2. La ministre prévoit aussi l’inclusion prochaine de fondations philanthropiques et de nouvelles catégories d’investisseurs dans la stratégie gouvernementale.

Des annonces seront faites sous peu.

Dans tous les cas, la pression est forte pour que le gouvernement Legault presse le pas, lui qui avait promis en 2018 de construire 14 000 logements sociaux et abordables. Il en manque encore plus de 9000 pour atteindre cette cible, ont dénoncé la semaine dernière des groupes communautaires.

Il y a de l’argent disponible, à Québec et à Ottawa. De nouvelles sommes devraient être annoncées dans le prochain budget provincial à la fin de mars, selon mes sources. On peut espérer que le montant des subventions accordées pour la construction de chaque logement sera révisé à la hausse afin de refléter l’inflation des coûts de construction. Et que Montréal obtiendra sa juste part des nouveaux programmes, ce qui n’a pas toujours été le cas ces dernières années3. À suivre.

Là où ça accroche, encore et toujours, c’est dans la manière dont tous les programmes gouvernementaux (du fédéral, du provincial et des villes) viennent s’arrimer. Dans la façon dont la lourdeur bureaucratique vient souvent ralentir, voire freiner les projets de logement abordable.

Sur le terrain, beaucoup m’indiquent que faire aboutir un projet relève presque du miracle tellement il y a de morceaux de puzzle à assembler et d’échéances différentes à respecter. « Comme un jeu de serpents et échelles », ironise une source bien placée.

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La Ville de Montréal, où les besoins en logements sont les plus grands, promet d’alléger sa réglementation et fera bientôt une annonce en ce sens. Idem au gouvernement Legault, où la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, déposera d’ici quelques semaines une nouvelle mouture de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, qui réduira le fardeau bureaucratique.

Le diable, comme toujours, sera dans les détails. Dans l’exécution.

Avec de la bonne foi et une grosse dose de WD-40 pour lubrifier les rouages, on peut relancer la machine.

C’est impératif, en fait.

Des dizaines de milliers de ménages attendent.

1. Consultez le rapport du Vérificateur général du Québec 2. Lisez « À la veille du 1er juillet : Québec annonce 3000 nouveaux logements abordables et sociaux » 3. Lisez notre éditorial « Logement social : la CAQ pénalise Montréal et les plus démunis »