En infligeant une peine de prison à Simon Houle, la Cour d’appel a fait trois choses en même temps.

D’abord, évidemment, corriger un mauvais jugement.

Par la même occasion, la plus haute cour au Québec a rappelé l’importance de sévir contre les agressions sexuelles aux juges qui auraient manqué quelques épisodes judiciaires.

Enfin, elle nous rappelle (sans le dire) qu’un jugement mal raisonné, ça se répare en appel. Pas en destituant le juge qui l’a rendu.

Simon Houle est cet ingénieur ayant bénéficié d’une absolution conditionnelle en juin dernier après avoir plaidé coupable à des accusations d’agression sexuelle et de voyeurisme.

Après un party bien arrosé à l’université, il avait déshabillé une étudiante endormie, l’avait photographiée et l’avait pénétrée avec ses doigts.

La décision de l’absoudre a fait scandale, autant pour sa clémence que pour ses arguments. Le juge Matthieu Poliquin disait notamment qu’il n’y avait « qu’une seule victime » et que « l’agression s’est déroulée somme toute rapidement », un acte isolé et spontané sans suite. Le juge avait reconnu que les gestes étaient graves, mais il avait surtout insisté sur l’importance de la réhabilitation du jeune ingénieur.

La fureur s’est exprimée sur les réseaux sociaux, au point que l’on a réclamé la destitution du juge Poliquin devant le Conseil de la magistrature.

On pourrait être tenté de voir le jugement d’appel de mercredi comme une tentative d’apaisement de l’opinion publique.

Ce n’est pas le cas. Pour quiconque a lu un peu la jurisprudence des dernières années, le jugement Poliquin était sérieusement hors cadre. La « fourchette » des peines habituellement infligées pour des agressions sexuelles de même type varie de 12 à 20 mois, souligne la Cour d’appel.

Qui plus est, le juge a semblé confondre les deux crimes. Houle a pris neuf photos du sexe et des seins de la victime et les a gardées dans son téléphone un mois et demi.

Ce n’est déjà pas un argument de dire que le crime s’est déroulé « rapidement ». Mais en plus, ce n’est pas le cas : Houle a suivi sa victime dans deux pièces.

L’absolution ne tenait pas compte de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime et de l’« abus de vulnérabilité ».

La porte n’est pas pour autant fermée à une absolution en matière d’agression sexuelle – c’est déjà arrivé. Mais encore faut-il que les circonstances la justifient et qu’elle n’aille pas contre l’intérêt public. S’écarter autant de la « fourchette » habituelle des peines avec des faits aussi sérieux était de nature à miner la confiance du public envers la justice – ce fut de toute évidence le cas…

Rappelons tout de même que l’automne dernier, le Conseil de la magistrature a rejeté les plaintes contre le juge Poliquin, et avec raison.

C’est ici qu’il faut distinguer un mauvais jugement et une faute déontologique.

La Cour d’appel a beau avoir « corrigé » sérieusement son jugement, elle a pris la peine de noter qu’il avait rédigé un jugement « soigné ». En ce sens qu’il a étayé son argumentation en pesant les différents arguments (la poursuite réclamait de 15 à 18 mois de prison), cité des décisions, etc. Ce n’est pas un jugement mal fait, bâclé, loufoque.

Les juges ont une marge de discrétion et ne sont pas obligés de suivre ces « fourchettes ». Ils peuvent s’en écarter, car aucun cas n’est identique, aucun accusé n’est comme un autre. Il arrive donc qu’un juge penche vers la sévérité, un autre vers la clémence. Et à la fin, si la peine ne fait pas l’affaire de la défense ou du DPCP, un appel est possible.

Encore là, la Cour d’appel n’interviendra que dans une minorité de cas, justement par respect pour ce pouvoir de discrétion du juge.

Ce n’est que si la peine n’est « manifestement pas indiquée » ou si le juge a commis une erreur de principe dans sa décision que la peine sera « corrigée ». Autrement dit, les juges ont une marge de manœuvre, mais pas absolue.

Mais s’il fallait suspendre ou congédier les juges chaque fois qu’une cour d’appel modifie leur décision, on aurait une nouvelle pénurie de main-d’œuvre judiciaire sur les bras…

Les tribunaux doivent conserver le pouvoir de rendre des décisions, même les plus impopulaires, sans crainte de représailles.

Ça ne veut pas dire qu’ils sont infaillibles ou incontestables, comme on vient de le voir.