Peut-être avez-vous entendu le slogan, ou vous l’avez même scandé : « F*ck la COP ! ». Cette rencontre serait inutile, selon des manifestants.

Le contraire vient pourtant d’être prouvé. Car peu importe sous quel angle on examine la COP15, son impact est positif. Les États ont accéléré leur marche vers la protection de la biodiversité.

S’il y a quelque chose à critiquer, c’est moins la conférence que le retard accumulé depuis des décennies, et tout le chemin qui reste par conséquent à parcourir pour empêcher la 6e extinction de masse du vivant.

Les manifestants en colère ont raison, les petits pas ne suffisent plus. L’urgence exige d’en faire beaucoup plus. Mais pour cela, les États doivent se coordonner. Et cela passe par des rencontres comme la COP15 à Montréal.

Sa réussite est inespérée. Car il y a quelques mois, on craignait le pire.

La rencontre devait se dérouler en Chine en 2020. À cause de sa politique zéro COVID, elle a été déplacée chez nous. Ces deux pays devenaient coorganisateurs malgré leurs relations diplomatiques glaciales.

L’été dernier, le ministre de l’Environnement du Canada, Steven Guilbeault, n’avait jamais encore parlé à son homologue chinois. Ils ont finalement très bien travaillé ensemble.

La coprésidence accidentelle ressemblait à un obstacle. Elle s’est avérée un atout.

PHOTO ANDREJ IVANOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le ministre de l’Écologie et de l’Environnement de Chine, Huang Runqiu, aux côtés du ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, Steven Guilbeault

L’empire du Milieu se situe entre les pays riches et ceux du Sud. C’est un gros pollueur, mais avec une moins grande responsabilité historique que le G7 dans la dévastation des écosystèmes. Cela l’a aidé à avoir l’oreille de tous. Et il prenait plus de place à cause de la quasi-absence des États-Unis – n’ayant jamais ratifié la convention de la biodiversité, les Américains ont un simple statut d’observateur.

M. Guilbeault et son homologue se sont partagé la liste des pays à convaincre. Ils ont ainsi dénoué une impasse entre les puissances économiques qui souhaitaient que le financement transite par l’actuel fonds pour le climat, et les pays du Sud qui réclamaient la création d’un nouvel instrument. Une formule hybride a été créée. La somme sera aussi considérable : 30 milliards d’ici 2030. Même si c’est inférieur aux besoins, cela demeure trois fois plus que la moyenne annuelle versée lors de la dernière décennie.

Après avoir rassuré les pays du Sud sur l’argent, le Canada et la Chine ont pu les rallier à un autre engagement, celui de la protection du territoire.

Cela explique pourquoi M. Guilbeault crie victoire.

Ce travail ne doit pas être sous-estimé. Dans d’autres rencontres internationales, le pays hôte a compliqué les négociations. De l’avis d’observateurs à qui j’ai parlé, l’Égypte n’a rien fait pour rapprocher les pays lors de la dernière rencontre sur le climat cet automne, et le Danemark avait été d’une rare désorganisation en 2009.

Cette fois, les engagements sont importants. Le problème, toutefois, c’est que ce ne sont que des engagements…

La protection de la biodiversité devrait être plus facile à vendre que la lutte contre le dérèglement climatique. Quand on sauvegarde une forêt chez nous, les bénéfices sont immédiats. Et ce, peu importe ce que fait notre voisin.

Mais le sujet a occupé moins d’attention médiatique et politique depuis 20 ans. Et la diplomatie est moins avancée, comme le prouve l’entente survenue tôt lundi matin.

À Paris en 2015, les États ont signé un « accord ». Certes, il n’inclut pas de pénalités. En cas de violation, les conséquences sont symboliques. Mais cela demeure néanmoins plus contraignant que le « cadre » négocié à Montréal. Il ne contient pas les mêmes exigences que l’accord de Paris pour renforcer les cibles et documenter le progrès vers leur atteinte.

La pression morale peut inciter des gouvernements à agir – pour respecter une cible de l’entente de Nagoya en 2010, le gouvernement Legault a protégé 20 % de son territoire. Mais dans l’ensemble, ce volontarisme ne suffit pas. À l’échelle de la planète, aucun objectif de Nagoya n’a été atteint.

Si les pessimistes ont tort, ceux qui gardent un certain scepticisme ont raison. La pression doit être maintenue sur les États pour que les gestes suivent les paroles.

Le Canada s’est engagé à adopter une loi sur la mise en œuvre du cadre de l’entente. Si la tendance se maintient, il atteindra aussi les cibles de protection de son territoire terrestre et marin.

Le nouveau règlement sur le plastique à usage unique vient également d’entrer en vigueur (fin immédiate de la fabrication et de l’importation, puis interdiction complète à partir de 2024), et d’autres annonces pourraient suivre pour la norme sur le plastique recyclé.

Sur les pesticides, toutefois, le bilan canadien est mitigé au mieux – l’entente promet de réduire les méfaits des pesticides sans donner de cible sur leur utilisation, ce qui plaît à Ottawa, mais frustre entre autres l’Union européenne. La protection des espèces en péril est aussi laborieuse, comme le prouve l’approbation conditionnelle du port de Contrecœur, qui menacera encore plus le chevalier cuivré. Et la réduction des subventions « néfastes à la biodiversité » s’annonce difficile. Ce volet de l’entente sera combattu par les lobbyistes des industries pétrolière, gazière, minière, forestière et des pêcheries.

Pour la suite, la vigilance s’impose. N’empêche que l’accord de la COP15 est une indéniable bonne nouvelle. Le plus encourageant est qu’il prouve que des États comme le Canada et la Chine peuvent travailler ensemble malgré leurs différends.

Cette coopération est fragile, mais pour éviter le pire des crises du climat et de la biodiversité, c’est notre meilleure chance. Et la seule aussi.