Un traité international qui peut sauver des vies. Des négociations difficiles qui donnent des résultats édulcorés. Les États-Unis qui, malgré les beaux discours, refusent d’y adhérer. Des organisations de la société civile qui demandent plus de leadership politique. Ce scénario vous dit quelque chose ?

Oui, c’est celui de la COP15 sur la biodiversité qui se déroule depuis cette semaine au Palais des congrès de Montréal. Mais c’était aussi le scénario qui avait cours avant un moment charnière de l’histoire diplomatique canadienne il y a un quart de siècle.

En 1996, devant l’impasse des négociations onusiennes pour arriver à un traité permettant de bannir les mines antipersonnel qui faisaient plus de 30 000 victimes annuellement, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lloyd Axworthy, a mis au défi les États membres des Nations unies.

Il a donné à la communauté internationale une année pour se ressaisir et pour convenir d’une entente en bonne et due forme permettant de tourner le dos à « l’arme des lâches ». Ses principaux alliés ? Un large éventail d’organisations non gouvernementales qui s’étaient regroupées sous la bannière de la Campagne pour l’interdiction des mines antipersonnel (ICBL).

Ensemble, ils ont réussi un véritable exploit.

Le 3 décembre 1997, 122 pays adoptaient le traité d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel après une année de négociations intenses.

La même année, ICBL et sa coordinatrice, Jody Williams, recevaient le prix Nobel de la paix. L’honneur a rejailli directement sur le Canada.

Avec la tenue de la COP15 à Montréal, le 25e anniversaire de cette réussite exemplaire est passé presque sous silence cette semaine. Pourtant, on a besoin plus que jamais de se rappeler que l’histoire de David et de Goliath n’est pas confinée à la Bible et au Coran. Dans la vraie vie, le héros improbable a déjà porté une fronde unifoliée.

« Ça me met encore les larmes aux yeux quand je pense que nous avons réussi à faire ça, raconte aujourd’hui Mark Gwozdecky, un des diplomates qui étaient au cœur de l’équipe de négociations qui a accouché du traité d’Ottawa. Nous avons fait ce que personne ne pensait possible. Nous avons défié les grandes puissances qui ne voulaient pas d’un traité de la sorte. Et nous avons dû gérer certains de nos alliés les plus proches qui étaient plutôt vexés », se souvient-il. Lire : les États-Unis qui n’ont jamais adhéré au traité, mais en respectent les grandes lignes.

D’ailleurs, après que Lloyd Axworthy a lancé son appel à l’action, Mark Gwozdecky et ses collègues ne savaient pas du tout comment ils arriveraient à la ligne d’arrivée. Les mois de diplomatie qui ont suivi ont été d’une intensité rare.

Pour réussir à bannir les mines antipersonnel, le Canada a carrément mis de côté le manuel onusien et imposé son propre processus. « Lorsque les négociations se passent avec les règles des Nations unies, ça se fait par consensus et c’est donc le plus petit dénominateur commun qui l’emporte. Nous, nous nous sommes démenottés des règles de l’ONU et ce sont les plus hautes valeurs humaines qui ont primé », explique l’ancien sous-ministre adjoint d’Affaires mondiales Canada.

Et on ne peut pas parler de brouille avec les Nations unies. Ce qu’on appelle aujourd’hui « le processus d’Ottawa » s’est déroulé avec la bénédiction du secrétaire général de l’organisation internationale.

Les résultats, eux, parlent d’eux-mêmes. Après l’entrée en vigueur du traité en 1999, le nombre de victimes des mines a chuté d’environ 30 000 par année à un peu plus de 4000 en moyenne. Des dizaines de millions de mines ont été détruites à travers le monde et 30 pays ont été complètement déminés. Aujourd’hui, la convention est ratifiée par 164 pays.

Et les leçons pour le gouvernement canadien en ces temps de grandes négociations environnementales ? « Quand il y a un réseau coordonné d’organisations non gouvernementales qui mènent le bal, tout est possible, croit Mark Gwozdecky, qui rappelle que le gouvernement Chrétien était fort conscient de l’appui de la population à l’éradication des mines antipersonnel avant de se lancer dans cette aventure.

« C’est aux politiciens canadiens d’avoir le courage de passer à l’action sans se laisser dicter leur conduite par un quelconque maître du jeu », ajoute pour sa part Richard Fitoussi, un cinéaste qui a consacré plusieurs films aux impacts des mines antipersonnel et qui peaufine actuellement un opus consacré au traité d’Ottawa et à ses artisans.

Fondateur de l’organisation Handicap International, Jean-Baptiste Richardier a lui aussi été de toutes ces péripéties diplomatiques. Son organisation, qui a depuis été rebaptisée Humanité et Inclusion, œuvre auprès des survivants des mines antipersonnel dans le monde entier. Avec cinq autres organisations, HI a été à l’origine du plaidoyer international pour les éradiquer.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Impliqués dans HI, étaient de passage à Ottawa Philippe Chabasse, un médecin humanitaire français ayant joué un rôle dans les négociations qui ont mené au traité d’Ottawa, Gniep Smoeun, une des premières victimes soignées par HI, Anne Delorme, directrice générale de HI Canada, et Jean-Baptiste Richardier, son fondateur.

M. Richardier était de passage à Ottawa lundi avec plusieurs collègues pour célébrer le 25e anniversaire du traité, mais en a profité pour rappeler au gouvernement canadien que la bataille n’est pas terminée.

En plus de la prolifération des mines improvisées dans plusieurs conflits, l’utilisation massive de mines antipersonnel en Ukraine et en Birmanie inquiète. Si la tendance se maintient, les mines proscrites feront cinq fois plus de morts cette année qu’en 2021, un bond terrifiant. Pendant ce temps, les ressources internationales consacrées à la cause se raréfient.

Le leadership d’Ottawa, lui, s’est estompé dans le dossier.

« En quatre décennies, on a vu de grands pas en avant. Je ne peux pas concevoir que le gouvernement canadien ne s’identifie pas davantage à cette victoire, note M. Richardier. Aujourd’hui, on a besoin que le Canada reprenne l’étendard. » Qu’il reprenne la fronde.