Mon chat est mort. Bécaud, mon coloc des seize dernières années.

Chez moi, c’était plutôt chez lui. Sa terre natale. Il est né dans ma chambre. C’est là que sa mère Binette accoucha de quatre chatons. On en a donné trois. Binette est sortie, un jour, sans revenir. On n’a jamais su ce qui lui était arrivé. Bécaud est resté. Et a vécu toute sa vie de chat.

Dormir. Boire. Dormir. Manger. Dormir. Se laver. Dormir. Sortir. Dormir. Rentrer. Dormir. Boire. Dormir. Manger. Dormir. Se laver. Dormir. Sortir. Dormir. Rentrer. Dormir. Et venir me voir. Quand ça lui tentait. Pour savoir ce que pouvait bien faire celui avec qui il partageait son logis. Et pour se faire flatter. Je lui parlais. Il ronronnait. Puis il s’en allait, quand il en avait assez. Retourner boire, manger, se laver ou dormir.

Dès que quelqu’un entrait dans la maison, il allait à sa rencontre. Pour que la personne comprenne bien chez qui elle était. Il lui faisait des mamours. Si bien que ma famille et mes amis avaient beaucoup d’affection pour lui. Bécaud, c’était Bécaud.

Le petit roi lion de la maison. Tout le monde lui faisait de la façon, et lui faisait ses ronrons.

Il dormait souvent au pied de mon lit. Ou je dormais plutôt à la tête du sien. Car il s’y prélassait beaucoup plus longtemps que moi. Déjà couché quand j’arrivais. Encore couché quand je partais. Il devait me trouver trop actif, alors qu’il suffit de rêver.

Mon chat est mort. De sa douce mort. L’hôpital vétérinaire lui avait donné son congé. Il n’y avait plus rien à faire. Il est mort, chez lui, samedi matin. Dans les bras de ma sœur. Venue l’embrasser. Son cœur a lâché. J’étais à la radio.

Quand je l’ai revu, il était allongé, les yeux ouverts. Pour que l’on comprenne bien qu’il ne dormait pas, qu’il ne dormirait plus. Finie son activité préférée. Pour un chat, dormir les yeux fermés, c’est vivre. Dormir les yeux ouverts, c’est ne plus vivre.

Mon chat est mort. Je ne veux surtout pas vous faire pleurer avec ça. Il y a, dans ce journal, tellement plus d’histoires bouleversantes que celle-là. C’est juste un chat. Mais j’avais quand même envie de vous l’écrire.

D’abord, parce que vous le connaissiez un peu, le Bécaud. Je parlais de lui, de temps en temps. De sa sagesse de félin. La dernière fois, il y a à peine un mois, quand il n’aimait pas que je lui parle en bébé, malgré une étude qui prétendait le contraire.

Et surtout, parce que je ne suis pas le seul à vivre le deuil d’un animal de compagnie. C’est un deuil très discret. Très personnel. On ne veut surtout pas avoir l’air pathétique avec ça. On sait bien que ça n’a rien à voir avec la perte d’un parent, d’un proche. Mais ça fait de la peine quand même. C’est qu’on s’attache à ces petites bêtes-là. C’est d’ailleurs pour ça qu’on les a. Pour avoir un lien qui tient.

La principale qualité d’un minou ou d’un pitou, c’est d’être avec vous. Dans ce monde où les gens vont et viennent, mon chat était là. Toujours là. Il avait beau sortir dehors, explorer les alentours, la porte devant laquelle il attendait qu’on lui ouvre, c’était la mienne. Ou plutôt la sienne ! Réglons pour la nôtre.

Un animal domestique, c’est un compagnon pour la vie. Pas juste pour la grosse vie. Pour la petite vie, aussi. Celle des jours de pluie. Celle des dimanches après-midi. Celle des silences et de l’ennui. Dont on a besoin, aussi.

Bécaud a tenu parole. Il a été là, toute sa vie.

Seize ans à être là. Ça vaut bien une chronique. Triste mais pas trop.

Juste comme il le faut.

Pour saluer tous ces animaux qui nous rendent plus humains.

Bye, mon Bécaud !

Chez moi, il n’y a plus un chat.

Mais il y a encore moi, c’est déjà ça !

Et à tous ceux qui, bientôt, me demanderont : « Il est où, ton chat ? »

Quelque part, il est encore là.

Si ce n’est pas trop pathétique de dire ça…