« Toi, le fusil, moi, les cartouches ∕ Un bout d’sapin d’travers dans bouche ∕ Dans les traces de raquettes du père ∕ T’en souviens-tu de ça, p’tit frère ? » – Tex Lecor, La théière

La chasse fait partie de ma vie. Mon grand-père Jobin chassait avec ses fils au « cric à Lépine », dans ce qui est aujourd’hui un projet immobilier. Mon grand-père Pedneaud a nourri sa famille de viande sauvage pendant des années. Mon père m’a initié à la chasse et j’ai fait la même chose avec mon fils, mes filles n’y voyant pas d’intérêt.

Cette année, libéré du poids de la politique, j’ai chassé plus souvent que dans les 12 années précédentes. Ça fait du bien. J’ai même eu besoin du congélateur de ma mère pour entreposer ma récolte de venaison ! Une belle année.

En fin de semaine, Carey Price, du haut de son immense notoriété, a fait une sortie publique sur la chasse. En gros, il demande un certain respect pour les chasseurs et il appuie les demandes de la Coalition canadienne pour les droits des armes à feu (c’est un drôle de nom, d’ailleurs, les armes elles-mêmes ont-elles des droits ? ). Cette coalition mène une bataille pour protéger l’accès à des armes semi-automatiques, parfois appelées armes d’assaut.

J’ai toujours trouvé positif que les vedettes se mêlent un peu de politique, ce sont des citoyens elles aussi, c’est bien qu’elles s’inscrivent dans la Cité. Mais la notoriété vient avec de la responsabilité.

Plus notre voix porte, plus il faut l’utiliser avec prudence pour s’assurer de faire une contribution solide et constructive. Parce que les vedettes ont des voix fortes, il est parfois important de leur répondre. C’est le cas ici.

Parlons donc brièvement de politique avant que je ne vous raconte ma chasse de cette année.

La Coalition canadienne pour les droits des armes à feu, le groupe que Carey Price appuie, a créé un code promotionnel « Poly » pour promouvoir l’achat de marchandises sur son site web. Ce genre d’agressivité politique fait vomir. J’étais à l’université quand 14 jeunes femmes ont été abattues à Poly, elles avaient mon âge. J’y pense et je tremble encore. Trente-trois ans plus tard, c’est au tour de mes filles d’être à l’université. Trente-trois ans, c’est le temps qu’il aura fallu au gouvernement fédéral pour agir. Ça aussi, ça me lève le cœur.

Un des t-shirts que la coalition vend avec le rabais « Poly » porte ce logo : « Firearm rights are women’s rights » (ils ne vendent rien en français et, pour une fois, j’en suis bien content). Cette coalition importe chez nous le délire américain sur les armes. On ne parle plus de chasse, on parle des principes qui font des États-Unis une des sociétés les plus violentes et les plus meurtrières au monde. En les appuyant, Price défend une certaine vision de la chasse et une certaine vision de la place des armes dans notre société. Il a tort dans les deux cas. Posséder une arme est un privilège, pas un droit. Chasser avec une arme d’assaut, ce n’est plus de la chasse.

Un matin de novembre

J’étais assis sur une petite chaise, longtemps avant le lever du soleil. Je ne voyais pas mes mains. Il faisait noir comme chez le loup. Peu à peu, la forêt a oublié ma présence et elle a recommencé à vivre. J’étais entré dans la nature. Un rouge-gorge chantait l’hiver qui arrive, un écureuil cherchait quelques victuailles à protéger de la neige, le vent soufflait et le froid faisait craquer ses premières branches. Un chasseur était à l’affût.

Derrière les nuages, le soleil a commencé à se lever. Je regardais la neige tomber doucement. Je pensais à mon père qui aurait aimé être là.

Tout à coup, le chien de la ferme a jappé. Une bête était proche. Elle est apparue dans le plus grand silence. Je l’ai mise en joue. À contre-jour, je la voyais parfaitement. Elle s’est avancée devant un sapin, noir sur noir, je ne pouvais plus tirer. J’ai attendu. Longtemps. Elle a enfin bougé. Quand j’ai été certain de mon coup, j’ai tiré.

Seul dans le champ, j’ai nettoyé la bête, gardé les abats, puis je l’ai mise en sécurité pour laisser la viande faisander.

Quelques jours plus tard, grâce à des amis débrouillards, nous avons fait boucherie nous-mêmes. Pas un gramme de viande de perdu, le tout emballé sous vide, une viande dont l’empreinte écologique approche du zéro. En soirée, nous avons festoyé ensemble.

Le plus beau livre qu’on puisse lire sur la chasse a été écrit par un philosophe espagnol, José Ortega y Gasset. Il s’intitule Méditation sur la chasse. On le lit comme on chasse, patiemment, en savourant chaque minute qui passe. La meilleure édition en français est celle de Septentrion, dont un grand environnementaliste, Louis-Gilles Francœur, signe l’introduction. Il nous apprend notamment que les premiers écolos étaient des chasseurs, que les espèces chassées sportivement sont en meilleur état que bien des espèces non chassées et que les associations de chasseurs ont sauvé certaines espèces menacées par l’urbanisation.

J’invite M. Price à le lire. On y découvre toute la beauté de la chasse et, nulle part, on n’y parle d’armes semi-automatiques.

Rectificatif
Une modification a été apportée à la version initiale de ce texte pour remplacer l’expression « armes automatiques » par « semi-automatiques », qui décrit avec plus de précision un type d’arme au cœur du débat actuel sur le projet de loi fédéral visant à interdit certaines armes.